mardi 5 décembre 2006

L'effet relatif des conventions.

SECTION Il: L'EFFET RELATIF DU CONTRAT
 
 
L'article 1165 du Code civil pose le principe selon lequel le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes. Il ne doit ni nuire ni profiter aux tiers. Pendant longtemps, ce principe est apparu comme naturel Comment concevoir, en effet, qu'un contrat puisse engager quelqu'un qui n'y aurait pas souscrit ?
Pourtant, depuis 30 ans environ, il est contesté par une partie de la doctrine (notamment par M. Weil) qui a fait valoir qu'il correspondait à une société où les situations contractuelles étaient envisagées comme des mondes clos, à une société individualiste et atomistique qui n’est plus la notre aujourd’hui. La « collectivisation » (sans connotation idéologique) des contrats démontre que les relations individuelles sont interdépendantes les unes des autres.
La doctrine a donc été amenée à redéfinir la portée exacte de ce principe en distinguant l'effet obligatoire du contrat qui est limité aux parties et l'opposabilité du contrat envisagé comme un fait social. Le but et l'effet direct du contrat, c'est de produire des effets de droit, de créer des obligations entre les parties. Le principe de l'effet relatif ne concerne donc que l'effet obligatoire du contrat. Cela signifie que ne peuvent être créanciers ou débiteurs que ceux qui ont souscrit au contrat. Le contrat, cependant, crée un changement dans l'ordre juridique. Il constitue un fait social que personne ne peut ignorer. Ainsi, à la suite d'une vente, l'acquéreur est devenu propriétaire. Il pourra éventuellement louer son bien. Cette situation nouvelle constitue un fait social qui s'oppose à toute la collectivité juridique. C'est ce que l'on appelle l'opposabilité du contrat
 
 
§ 1. L'EFFET OBLIGATOIRE EST RELATIF (LIMITE) AUX PARTIES
 
Nul ne peut donc être partie à un contrat (c'est-à-dire créancier ou débiteur) sans l'avoir voulu. L'idée même d'obligation conventionnelle postule que vous ayez consenti à être créancier ou débiteur. Pourtant, si cette règle a gardé la valeur d'un principe général du droit des obligations, les exceptions légales ou jurisprudentielles à ce principe se multiplient de nos jours, encore que certaines soient de fausses exceptions.
 
A - Le principe général
 
Il se situe dans le droit fil de l'autonomie de la volonté. Les parties sont souveraines, mais ne le sont que sur elles-mêmes. Respectueux de la liberté individuelle, le Code civil considère que chacun doit s'occuper de ses propres affaires, non de celles d'autrui.
Les effets obligatoires découlant du contrat ne s'appliquent donc qu'aux parties au contrat (supra : la notion de parties au contrat).
B - Les fausses dérogations
 
On présente généralement deux institutions qui seraient des dérogations au principe de l'effet relatif Nous verrons qu'elles n'en sont pas, car si un tiers au contrat est engagé ou bénéficie d'un avantage, c'est seulement après en avoir manifesté la volonté. Le premier mécanisme joue assez rarement, en revanche, le second connaît un succès incontestable en jurisprudence, succès tel que l'on peut même parler d'inflation à son propos,
 
 
a) La promesse de porte-fort (ou promesse pour autrui)
 
La promesse de porte-fort est constituée par l'engagement que prend une personne à l'égard d'une autre personne qu'un tiers acceptera d'être obligé. On promet donc qu'autrui s'engagera (art. 1120). (Un co-indivisaire vend un bien indivis à son co-contractant, se portant fort de ce que les co-indivisaires ratifieront la vente intervenue.)
 
Le mécanisme joue essentiellement dans les hypothèses de la représentation légale ou conventionnelle : le représentant veut passer un contrat qui excède la limite de ses pouvoirs. Il se porte fort de la ratification de l'opération par le mandant. Le tuteur passe un acte juridique au nom du pupille alors que cet acte excède ses pouvoirs, il se porte fort de ce que le pupille, à sa majorité, ratifiera l'opération
 
Il ne s'agit pas d'une véritable exception à l'effet relatif des conventions. En effet, au moment de la promesse, seul le promettant est juridiquement engagé. Si donc le tiers pour lequel il s'est engagé ne ratifie pas l'opération, il sera seul tenu Contractuellement responsable de l'inexécution du contrat. Il pourra être condamné à verser des dommages et intérêts à son co-contractant. Mais le tiers ne peut se voir imposer une charge qu'il n'a pas voulue. C'est seulement si le tiers accepte d'être obligé qu'il sera considéré comme partie au contrat. Il importe de noter que s'il accepte, il est rétroactivement engagé au jour où le contrat de porte-fort a été passé. Il est donc rétroactivement partie au contrat (art Il21 du C civil).
 
b) L'inflation des stipulations pour autrui
 
1) Le mécanisme de la stipulation pour autrui.
 
Il permet de faire naître un droit au profit d'un tiers. La stipulation pour autrui est le mécanisme juridique par lequel une personne (le stipulant) obtient d'une autre (le promettant) l'engagement d'exécuter une prestation au profit d'une troisième personne (le tiers bénéficiaire). Dans le contrat de transport, l'expéditeur (stipulant) obtient du transporteur (promettant) qu'il livre telle marchandise au profit du destinataire (tiers bénéficiaire).
 
La stipulation est donc un mécanisme à trois personnages. Les trois rapports juridiques qui s'établissent entre eux méritent d'être explicités.
 
. Le rapport stipulant-promettant
C'est le rapport initial. Il s'agit le plus souvent d'un simple contrat à titre onéreux (assurance-vie), rarement d'un contrat à titre gratuit (donation à une personne à charge de récompenser chaque année des individus méritants).
Comme tout créancier originaire, le stipulant a contre le promettant le droit de le contraindre à exécuter sa prestation au profit du bénéficiaire. De même, il peut demander la résolution du contrat si le promettant n'exécute pas sa prestation, obtenant ainsi la restitution des sommes versées (assurance-vie). Si le contrat l'a prévu (c'est fréquemment le cas dans les assurances sur la vie), il peut résilier le contrat ou modifier le nom du bénéficiaire.
 
. Le rapport promettant-tiers bénéficiaire
C'est le rapport le plus original dans la stipulation pour autrui
Le tiers bénéficiaire acquiert un droit contre le promettant Alors qu'aucun contrat n'a été passé entre eux, le tiers bénéficiaire acquiert un droit direct contre le promettant. Il faut signaler cependant que le tiers doit donner son consentement et que son droit reste dépendant du contrat initial C'est pourquoi il n'y a pas exception réelle au principe de l'effet relatif
 
- C'est un droit direct
 
Cela signifie que le bénéficiaire est considéré comme le créancier direct du promettant, comme partie à un contrat avec le promettant
Les conséquences pratiques de cette solution sont très avantageuses pour le tiers bénéficiaire. Bénéficiant d'un droit direct contre le promettant, on considère que le tiers bénéficiaire est titulaire d'une créance qui ne fait jamais partie du patrimoine de stipulant Elle échappe donc aux créanciers de celui-ci qui ne peuvent la saisir. Si l'on prend l'exemple de l'assurance-vie au profit d'un tiers, les créanciers du stipulant insolvable ne pourront faire valoir aucun droit sur le capital versé par la compagnie au bénéficiaire, car il existe un lien de droit direct entre le promettant et le bénéficiaire.
 
De même, les héritiers réservataires du stipulant ne pourront contester l'opération en prétendant que le capital excède la quotité disponible. Le capital ne fait pas partie du patrimoine du stipulant ; il est versé à titre personnel au bénéficiaire par le promettant
 
 
- C'est un droit dépendant du contrat initial
 
La cause juridique des rapports promettant-tiers bénéficiaire réside dans le contrat initial passé entre le stipulant et le promettant. Tout ce qui peut affecter le contrat initial se répercutera sur le droit du bénéficiaire. Le promettant peut donc opposer au bénéficiaire toutes les exceptions ou moyens de défense qu'il aurait pu faire valoir à l'encontre du stipulant En réalité, si le contrat initial est nul ou inexécuté, cela empêche le droit du bénéficiaire de naître.
 
. Le rapport stipulant-tiers bénéficiaire
Le stipulant peut révoquer la stipulation jusqu'à son acceptation par le bénéficiaire. Il y a là l'idée selon laquelle le droit du bénéficiaire dépend du contrat initial et est précaire.
L'acceptation est une condition de la stipulation pour autrui Il n'y a donc pas à proprement parler exception à l'effet relatif des conventions. Mais elle procède rétroactivement : on considère que le droit du bénéficiaire a pris naissance lors de la conclusion du contrat initial et la mort du stipulant n'interdit pas par exemple au bénéficiaire d'accepter la stipulation (droit direct).
Les droits acquis par le bénéficiaire le sont souvent, le plus souvent à titre onéreux L'ensemble du droit des transports repose sur le mécanisme de la stipulation pour autrui (expédition de marchandises, assurance pour le compte de qui il appartiendra). Le droit peut être acquis à titre gratuit (l'assurance sur la vie constitue, dit-on, une donation indirecte au profit du bénéficiaire).
 
Par faveur pour le développement de l'assurance, la loi du 15 juillet 1930 a décidé que les primes ne peuvent être atteintes par les règles du rapport et de la réduction de la succession que si elles étaient manifestement exagérées eu égard aux facultés financières de l'assuré.
 
2. Nature juridique et domaine de la stipulation pour autrui.
 
Individualiste, le Code civil voyait avec défaveur cette institution. Il ne lui consacre qu'un article. L'article 1121 dispose qu'on ne peut stipuler au profit d'un tiers que « lorsque telle est la condition d'une stipulation que l'on fait pour soi-même ou d'une donation que l'on fait à un autre ». Nous verrons que la jurisprudence admet très largement aujourd'hui les stipulations pour autrui quand elle ne les invente pas de toute pièce.
 
Il reste que la nature juridique de la stipulation est mal définie.
 
 
. Nature juridique
 
Plusieurs explications ont été proposées.
- La théorie du double contrat : il y aurait le premier contrat passé entre le stipulant et le promettant et le stipulant proposerait de le céder au tiers bénéficiaire. Cette offre, acceptée, donnerait lieu à la conclusion d'un second contrat. Cette théorie est rejetée aujourd'hui, car elle n'explique pas l'existence du droit direct du bénéficiaire à l'égard du promettant
- La gestion d'affaire : le stipulant serait le gérant d'affaires du bénéficiaire. Cette explication est erronée. Le stipulant peut révoquer la stipulation alors que le gérant a l'obligation de mener sa gestion à son terme. La stipulation suppose l'acceptation du bénéficiaire alors que celui dont on a géré l'affaire est engagé sans l'avoir voulu
- Une institution originale fondée sur l'engagement unilatéral de volonté. On est en présence d'un contrat entre stipulant et promettant et d'un engagement unilatéral de volonté de la part du promettant
 
. Domaine
Il est immense. Alors que les textes du Code civil paraissent limiter le domaine de la stipulation pour autrui à des hypothèses exceptionnelles, ses applications pratiques se sont multipliées et elle est devenue le soutien indispensable de nombreuses opérations juridiques (assurances). La jurisprudence s'est montrée très bienveillante quant aux conditions posées à la validité de la stipulation pour autrui. Désormais, il suffit que le stipulant ait un intérêt simplement moral à l'opération pour qu'on admette la validité de la stipulation. De plus, la stipulation peut être faite au bénéfice de personnes futures et indéterminées (assurance-vie au profit d'enfants , assurance pour le compte de qui il appartiendra).
 
Il faut signaler enfin que la jurisprudence a su « inventer » des stipulations pour autrui dans certains contrats faisant ainsi bénéficier une personne d'un avantage qui n'avait pas été prévu (transfusion sanguine : Civ. 17 décembre 1954, D. 1955.269). Elle utilise même ce mécanisme pour permettre, en réalité, de véritables cessions de contrats.
 
L'évolution amorcée en 1978 (Civ. 21 novembre 1978, D. 1980, 309 ; JCP 1980.11, 19315, note P. Rodière) s'est achevée par un important arrêt de principe (8 décembre 1987, Bull 1, No 343, obs. Mestre, RTD, Civ. 1988, 532) selon lequel « la stipulation pour autrui n'exclut pas, dans le cas d'acceptation par le bénéficiaire (souligné par nous), qu'il soit tenu de certaines obligations ».
En admettant qu'il puisse y avoir avantage au sens de l'article 1121 du Code civil même lorsque le droit du tiers bénéficiaire est assorti d'une obligation, les magistrats facilitent la transmission des contrats dans la mesure où ce sont des droits et obligations qui « profitent » au tiers bénéficiaire s'il les accepte.
C - Les vraies exceptions, les obligations réelles
 
 
Elles ont tendance à se multiplier. Dans de nombreux cas le législateur et la jurisprudence étendent les effets d'un contrat à d'autres que les parties sans qu'il y ait eu manifestation de volonté de la part des intéressés. C'est souvent en se fondant sur l'idée de stipulation pour autrui que les juges parviennent à ce résultat
 
Pratiquement, cette atteinte au principe de la relativité n'intéresse qu'une catégorie de personnes : les ayants-cause à titre particulier (voir supra dans le cours les distinctions proposées). Le problème se pose, en effet, lorsqu'un bien ou un droit a été transmis par une personne à une autre (l'ayant-cause). L'ayant cause qui bénéficie de la transmission du bien peut-il profiter d'une créance relative au bien transmis et doit-il supporter une dette ou être engagé par un contrat auquel il n'est pas partie mais qui sont en rapport avec ledit bien ? On parle, dans ces hypothèses, d'obligation réelle car, ainsi que nous l'avons vu, le lien obligatoire ne repose pas expressément sur la volonté du créancier et du débiteur mais est attaché à la chose (res en latin) ou au droit qui a fait l'objet de la transmission. Il existe une seule exception remarquable à l'effet relatif du contrat et qui concerne des tiers absolus. En matière d'assurance, la victime du dommage d'un accident dispose ainsi d'une action directe contre l'assureur de l'auteur du dommage pour l'indemnité réparatrice. Le législateur a prévu cette exception à l'effet relatif des conventions par faveur pour les victimes. L'indemnité ne tombe pas dans le patrimoine de l'assuré. Elle ne peut donc ni être saisie par ses créanciers ni être dilapidée par lui.
 
a) Les exceptions légales
 
1. Le maintien d'un contrat au profit ou à la charge d'un acquéreur à titre particulier
 
Dans ces hypothèses, l'ayant-cause est tenu ou bénéficie du contrat passé par son auteur par exception à l'effet relatif. Les exemples sont assez nombreux. Signalons les plus intéressants. L'acquéreur d'une chose assurée bénéficie du contrat d'assurance passé par son auteur. De même que l'acquéreur d'un immeuble loué est tenu de respecter le contrat de bail passé par le vendeur dès lors que ce contrat a date certaine. Il ne peut donc expulser le locataire.
 
En vertu d'un texte célèbre (l'art L 122-12 du Code du travail), l'acquéreur d'une entreprise (succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société) est tenu de respecter les contrats de travail en cours. Ce texte vise à protéger les salariés. Il ne faut cependant pas en exagérer la portée. Le nouvel acquéreur pourra toujours licencier les salariés, mais c'est lui qui devra assurer le versement des indemnités de licenciement. L'article 10 de la loi du 16 juillet 1964 sur le « régime contractuel » en agriculture prévoit que l'acquéreur d'une entreprise agricole est tenu de respecter l'accord interprofessionnel à long terme et les contrats conclus, dans le cadre de cet accord, par son auteur et une entreprise industrielle. Il faut faire attention, ce n'est que si un tel accord a été conclu qu'il y a dérogation à l'effet relatif des contrats. Or, de tels accords sont rares.
On sait aussi que l'acquéreur d'un immeuble ou d'un appartement en copropriété est tenu par le règlement de copropriété si celui-ci a été publié au fichier immobilier. Signalons enfin les textes relatifs aux entreprises en difficulté qui prévoient que le jugement qui arrête le plan de sauvetage de l'entreprise emporte de plein droit cession des contrats nécessaires au succès du plan au profit et à la charge du cessionnaire.
 
Toutes ces hypothèses nous mettent en présence d'obligations réelles portant soit sur une chose corporelle (la chose assurée) soit sur une chose incorporelle (l'entreprise). Dans ce dernier cas, l'obligation réelle est totalement dématérialisée.
 
2. Les actions directes
 
La loi accorde parfois une action directe à un contractant contre l'ayant-cause de son contractant, personne avec laquelle il n'a pourtant pas contracté. Le bénéficiaire de cette action se présente comme créancier d'un contrat qu'il n'a pas passé. L'article 1798 du Code civil précise que les ouvriers qui ont été employés à la construction d'un bâtiment disposent, au cas où l'entrepreneur ne les paie pas, d'une action directe contre le maître de l'ouvrage qui avait contracté avec l'entrepreneur. De même, l'article 1994 al. 2 du Code civil prévoit que le mandant peut agir directement contre la personne que le mandataire s'est substitué, c'est-à-dire le sous-mandataire. Le bailleur peut, pour sa part, si son locataire a sous-loué, demander directement paiement des loyers au sous-locataire. En dehors de ces hypothèses prévues expressément par la loi, la jurisprudence a admis, elle aussi, des exceptions à l'effet relatif
 
b) Les exceptions jurisprudentielles
 
La question des exceptions à l'effet relatif ne se pose en pratique que pour les obligations ayant un lien étroit avec un bien transmis ; elle intéresse donc essentiellement les ayants-cause à titre particulier.
 
On admet a priori plus facilement l'extension des effets obligatoires lorsqu'il s'agit d'une créance que lorsqu'il s'agit d'une dette ou d'un contrat Dans la première hypothèse, l'opération bénéficie à l'ayant-cause, dans les deux autres, elle le rend débiteur (G. Farjat, p. 282 ; Marty et Raynaud, Nos 238 et s.).
Cette démarche n'est pourtant pas logique. Elle n'envisage que la situation de l'ayant-cause et non celle du co-contractant de l'auteur du bien transmis, Or, il peut ne pas lui être indifférent d'avoir tel ou tel créancier.
Voyons les solutions jurisprudentielles et le fondement de ces solutions
 
La transmission des créances
 
La jurisprudence a admis assez tôt la transmission à l'ayant cause à titre particulier d'une créance ayant un lien étroit avec le bien transmis. L'exemple le plus célèbre concerne l'obligation de non-concurrence ou de non rétablissement du vendeur du fonds de commerce. Souscrite à l'égard du premier acquéreur, on considère qu'elle est transmise à tous les acquéreurs successifs qui pourront s'en prévaloir pour faire cesser le trouble, même si les contrats ne le prévoient pas expressément L'idée est que celui qui vend un fonds de commerce viderait de sa substance une telle vente s'il se rétablissait auprès du fonds cédé. La jurisprudence a aussi consacré une exception à l'effet relatif des contrats dans d'autres hypothèses. Ainsi, le sous-acquéreur d'un immeuble bénéficie de plein droit de l'action en garantie dont disposait le vendeur envers l'architecte et l'entrepreneur. De même, le sous-acquéreur bénéficie-t-il de l'action en garantie des vices cachés (art 1641 du Code civil) dont disposait l'acquéreur initial (Civ. 12 novembre 1884, D. 1885. 1.357).
 
L'utilité pratique de cette jurisprudence est évidente. Si l'on appliquait strictement le principe de l'effet relatif des contrats, on aurait une cascade de recours successifs. La solution admise par les juges évite cette cascade de recours ce qui constitue une économie de temps et d'argent Le consommateur peut agir directement contre le fabricant alors que si l'on respectait le principe de l'effet relatif, il devrait assigner le détaillant, lequel agirait contre le grossiste, lequel se retournerait à son tour contre le fabricant.
La jurisprudence refuse, en revanche, la transmission de la créance lorsqu'elle estime que le lien entre l'obligation et la chose n'est pas assez étroit. Ainsi, l'acquéreur d'un appartement loué ne peut pas demander la résolution du contrat de bail consenti par son vendeur au motif que le locataire n'a pas payé les loyers antérieurs à l'acte de cession (Soc 20 décembre 1957, D.1958, p. 81, note Lindon).
En ce qui concerne la clause d'habitation bourgeoise, les solutions varient selon que les juges la considèrent comme une obligation personnelle (Civ. 12 juin 1934, DH 1934, p. 410), ou comme une servitude, une obligation réelle (Civ. 29 mars 1933, DH 1933. 282).
 
 
2. La transmission des dettes ?
 
La question est de savoir si l'ayant-cause peut être tenu des dettes contractées par son auteur qui ont un rapport étroit avec le bien transmis ?
 
Dans cette hypothèse, la jurisprudence a toujours refusé de faire échec au principe de l'effet relatif des contrats. L'idée est qu'il est plus grave de rendre quelqu'un débiteur que créancier, sauf engagement exprès de reprendre à son compte les dettes contractées par son auteur. Ainsi, le directeur d'une salle de spectacle n'est pas lié par le contrat passé par son auteur pour la fourniture d'électricité, le commerçant n'est pas tenu par l'entente souscrite par son ven deur (Civ. 15 janvier 1918, D. 191 & 1 , p. 17). « Le successeur ou ayant-cause à titre particulier n'est pas de plein droit, et comme tel, directement tenu des obligations personnelles de son auteur ;... ce principe s'applique même aux conventions que ce dernier aurait passées par rapport à la chose formant l'objet de la transmission. »
La doctrine approuve généralement cette solution, encore qu'on puisse faire valoir qu'il n'y a aucune raison de distinguer entre transmission des créances et transmission des dettes
Il reste que cette hypothèse de transmission des dettes est exceptionnelle. En effet, il est rare qu'il y ait transmission d'une dette sans transmission corrélative d'une créance. C'est donc le problème de la transmission du contrat avec obligations réciproques qui se pose, ce que ne voit pas toujours la doctrine lorsqu'elle s'interroge sur le problème de la transmission des dettes.
 
 
3. Transmission des contrats synallagmatiques
 
Les parties peuvent elles-mêmes prévoir la transmission d'un contrat avec la transmission d'un bien à un ayant cause. La chose est fréquente en matière de distribution, où le concessionnaire s'engage, en cas de cession de son fonds, à imposer à son acquéreur la continuation du contrat de concession exclusive qu'il a signé avec le concédant On la rencontre aussi dans le secteur de l'agriculture intégrée.
 
Le problème ne se pose véritablement qu'en l'absence de convention expresse entre les parties. Peut-on admettre la transmission d'un contrat ayant un lien étroit avec le bien transmis ?
 
On affirme généralement qu'il n'est pas possible d'admettre la transmission du contrat à l'ayant cause. Si le législateur peut exceptionnellement étendre l'effet obligatoire du contrat à l'ayant cause à titre particulier, la jurisprudence ne saurait se reconnaître un tel droit L'article 116 5 du Code civil ferait obstacle à de telles dérogations à l'effet relatif.
 
Certains auteurs, cependant, se montrent favorables à une telle transmission (Planiol et Ripert, « Traité de droit civil », 2ème éd, tome IV, No 332 , Weil, thèse, No 519). Lorsque les obligations et les droits nés du contrat n'ont d'utilité qu'au regard de la chose transmise, il faudrait faciliter la transmission à l'ayant-cause des droits nés du contrat synallagmatique. Il serait soumis aux obligations et bénéficierait des droits issus du contrat L'autre partie au contrat pourrait lui opposer l'exception d'inexécution si l'ayant cause ne se soumet pas aux obligations. On trouve de rares décisions jurisprudentielles qui ont admis une telle transmission mais elles restent exceptionnelles. (Req. 17 février 193 1, D. 193 1. 1, p. 4 1, note Voirin.)
 
La jurisprudence a considéré que l'acquéreur d'un fonds de commerce était tenu par une clause d'approvisionnement exclusif souscrite par son auteur (CA Rouen, 28 novembre 1925, D. 1927. 11, p. 172). Elle a estimé que la clause par laquelle un commerçant s'engageait à ne pas faire concurrence à son vendeur sur certains articles avait force obligatoire à l'égard du sous-acquéreur parce qu'elle constituait un « droit réel mobilier ». Ceci nous conduit à envisager le fondement des solutions jurisprudentielles.
 
4. Le fondement des solutions jurisprudentielles
 
. La cession implicite de créance ou de contrat
 
Certains, pour justifier les exceptions à la relativité des conventions, ont mis en avant l'idée de cession implicite de créance ou de contrat de l'auteur à l'ayant-cause à titre particulier. Nous verrons qu'il est impossible d'admettre une telle analyse. D'abord elle repose sur une fiction : la prétendue volonté de céder le contrat Ensuite, elle est en contradiction avec les termes de l'article 1690 du Code civil relatif à la cession du contrat Devant les « dangers » d'une telle cession, le Code civil impose un formalisme strict, ce qui exclut la possibilité d'admettre des cessions implicites.
 
. La stipulation pour autrui
 
Nous avons signalé l'essor de cette institution, spécialement ces dernières années (Civ. 21 novembre 1978, précité ; Versailles, 2 juin 1987, BUIL Joly des Sociétés, 1987, 691 , Civ. 8 décembre 1987, précité).
 
Si l'on prend l'exemple de la clause de non-concurrence, le vendeur initial du fonds se serait engagé non seulement à l'égard de son acquéreur, mais aussi à l'égard de tous les sous-acquéreurs futurs, bénéficiaires d'une stipulation pour autrui.
 
Cette analyse n'est pas satisfaisante dans la mesure où elle repose sur une fiction : la prétendue volonté de s'engager envers des tiers bénéficiaires.
 
Pourtant, la jurisprudence n’hésite plus à dissimuler de véritables cessions de contrat derrière de prétendues stipulations pour autrui en interprétant assez largement la notion d'avantage au profit du tiers.
 
 
. L'obligation réelle
 
On estime ici que les droits et obligations qui lient deux personnes, les lient à raison de la chose dont ils sont en sorte l'accessoire. Le critère des droits et obligations qui seraient transmissibles avec la chose cédée serait celui de l'utilité. On pourrait admettre la transmission des créances à l'ayant-cause chaque fois que ces dernières ne présentent plus d'intérêt pour l'auteur mais qu'elles sont utiles à l'ayant-cause (clause de non-concurrence action en garantie).
 
L'admission de telles obligations réelles ne soulève pas de grandes difficultés lorsque le bien cédé est une chose corporelle. Le Code civil lui-même donne des exemples d'obligations réelles notamment en matière immobilière (servitude in faciendo) et la jurisprudence consacre la transmission de l'action en garantie contre les architectes et entrepreneurs ainsi que l'action en garantie des vices cachés.
 
On doit signaler un mouvement profond en droit qui conduit à un développement considérable des actions contractuelles directes (Ph Rémy, RTD Civ. 547 et s. et les nombreuses références).
 
L'idée d'obligation réelle portant sur un bien incorporel ne reposerait en revanche sur rien (G. Farjat, p. 286). L'affirmation peut surprendre et l'on observe que le législateur n'hésite pas à consacrer des obligations réelles dématérialisées (art L 122-12 du Code du travail ; art. 86 de la loi sur les entreprises en difficulté).
 
Il organise de plus en plus souvent la transmission des contrats à raison de «~ l'entreprise », laquelle n'est pas une chose corporelle, mais une chose incorporelle. L'obligation de non-concurrence que notre droit connaît depuis longtemps ne porte-t-elle pas sur un bien incorporel : le fonds de commerce.
 
Force est de reconnaître l'existence d'obligations réelles matérialisées, mais aussi dématérialisées.
 
 
§ 2. L'OPPOSABILITE DU CONTRAT
 
Le contrat est un fait social Toute convention ayant pour objet de créer, de transmettre ou d'éteindre des obligations bouleverse l'ordonnancement juridique. Même si l'effet obligatoire est relatif aux parties, la situation nouvelle issue du contrat s'impose aux tiers de même que ceux-ci peuvent s'en prévaloir.
 
A - Le contrat est invoqué par les tiers
 
a) Le contrat, source de renseignements pour les tiers
 
Les tiers invoquent souvent l'existence d'un contrat pour faire la preuve d'un fait. Il est fréquent, par exemple, qu'une société d'assurance demande de produire le contrat qui apportera la preuve de la valeur de l'objet détruit ou volé.
 
b) Le contrat, source de responsabilité délictuelle
La mauvaise exécution du contrat peut causer un préjudice au co-contractant (ce que nous envisageons dans le cadre de la responsabilité contractuelle) ; elle peut aussi causer un préjudice à des tiers au contrat Ceux-ci vont pouvoir invoquer le contrat en tant que fait pour rechercher le responsable du dommage.
Le tiers victime d'un accident pourra invoquer le contrat passé entre l'auteur de l'accident et le garagiste à qui le véhicule a été confié pour une réparation qui n'a pas été correctement faite.
Le Code civil lui-même prévoit cette situation L'article 1384 al. 5 dispose que les maîtres ou commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. Le tiers victime des agissements fautifs du préposé pourra invoquer le contrat de travail pour engager la responsabilité du commettant (employeur).
 
Le tiers, extérieur au contrat, n'agit donc jamais sur le terrain de la responsabilité contractuelle mais sur celui de la responsabilité délictuelle.
 
 
B - Le contrat est opposé aux tiers
 
(B. Starck, « Des contrats conclus en violation des droits contractuels d'autrui », JCP 1954.1-1180 ; S. Ginossar, « La fraude aux droits d'autrui est-elle licite ? », Mélanges Dabin, tome 1, p. 615). Ces lectures restent fondamentales.
 
L'opposabilité du contrat aux tiers a soulevé un très important contentieux.  Normalement pour que la sécurité juridique soit assurée, les contrats doivent être respectés. Les situations juridiques créées par contrats doivent s'imposer au respect de la communauté juridique, il reste que les frontières de l'opposabilité du contrat sont incertaines, et que l'opposabilité du contrat risque d'entrer en contradiction avec la liberté du commerce et de l'industrie.
 
a) Les contrats relatifs aux droits réels et les contrats constitutifs de personnes morales
 
Les droits réels sont opposables à tous Aussi, les contrats relatifs aux droits réels sont-ils opposables aux tiers car ils en constituent « l'assise ». Les contrats qui assurent la transmission de droits réels, le démembrement et la création de droits réels où l'extinction de ces droits sont donc opposables aux tiers sous réserve du respect éventuel des règles de la publicité (droit des biens).
La règle est logique car celui qui invoque un droit de propriété se fonde sur une série de contrats lui ayant transmis son droit L'opposabilité de son droit se fonde sur l'opposabilité des contrats
Il en est de même des contrats constitutifs des personnes morales, sous réserve, là encore, du respect des règles de publicité. Le contrat constitutif de la personne morale s'impose à tous
 
b) Les contrats faisant naître des obligations personnelles
C'est ici que l'évolution de la doctrine et de la jurisprudence est la plus nette. Contrairement à ce que l'on pensait au siècle dernier, on tend à considérer aujourd'hui que les contrats faisant naître des obligations personnelles sont opposables aux tiers. Les solutions doivent être nuancées car certaines applications de l'opposabilité du contrat peuvent pratiquement vider de son sens le principe de la relativité des conventions et porter sensiblement atteinte à la fibre concurrence.
 
1. Le tiers complice de la violation du contrat
 
On admet depuis longtemps que le tiers qui se rend complice de la violation par une partie au contrat de ses obligations contractuelles engage sa responsabilité délictuelle. Ainsi, l'employeur qui débauche un salarié sous contrat engage sa responsabilité délictuelle, alors que le salarié engage sa responsabilité contractuelle.
 
 
2. Le tiers ne respecte pas le droit contractuel d'autrui
 
Une partie de la doctrine et la jurisprudence sont allées beaucoup plus loin Elles considèrent qu'il y a faute du tiers à ne pas respecter le droit contractuel d'autrui quand ce droit est connu La responsabilité délictuelle du tiers est considérée comme une responsabilité autonome basée sur une sorte de délit civil autonome : le non-respect en connaissance de cause des droits contractuels d'autrui
 
La question est l'objet d'un abondant contentieux essentiellement illustré par les contrats de distribution exclusive, dans lequel les solutions du droit communautaire exercent une influence évidente.
 
 
3. Un délit autonome : le non respect des droits contractuels d'autrui ?
Un exemple concret montrera les enjeux qui s'attachent aux décisions jurisprudentielles. Il existe des réseaux de distribution exclusive ou sélective dans lesquels les produits sont distribués par des concessionnaires exclusifs dont chacun détient un territoire déterminé de vente. Il arrive qu'un commerçant hors réseau (on parle d'importations parallèles) se procure les produits soumis à concession exclusive, notamment en les achetant dans un autre pays, et les revende au mépris des conventions d'exclusivité. La jurisprudence offre au concessionnaire, dont l'exclusivité a été violée, des moyens qui font produire des effets importants à cette exclusivité. L'article 116 5 du Code civil et le principe de l'effet relatif lui interdisent d'opposer le contrat au tiers importateur, mais la jurisprudence considère que les obligations personnelles nées du contrat sont opposables à ce tiers qui doit les respecter. Aussi, lorsque ce tiers, en connaissance de cause, a violé les droits contractuels d'autrui (l'exclusivité) il engage sa responsabilité délictuelle (Aix, 14 octobre 1958, JCP 59.11.10924 ; Trib. Coin Nantes 23 avril 1956, D. 56, p. 731 ; Nice 29 avril 1955, JCP 56.11.9640 ; Coin. 16 mars 1965, Bull. III, No 199, p. 170 ; Coin. 21 février 1978, RTD, Coin 1979, 312, obs. Hémard).
 
La simple connaissance du droit contractuel d'autrui suffit-elle à caractériser la faute du tiers ? On peut alors dire que la simple connaissance du réseau constitue la faute. En effet, la faute du tiers sera établie dès lors qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer l'exclusivité reconnue par le concédant au concessionnaire victime. L'existence de la marque, d'éléments de publicité fait que, le plus souvent, on admet que le tiers ne pouvait ignorer cette exclusivité.
 
Cette sévérité à l'égard du tiers est encore renforcée par la position de la jurisprudence quant à la date à laquelle cette connaissance devra être prouvée. La Cour de Paris a, en effet, considéré qu'il « importe peu que l'importateur ait ignoré au moment de son achat la concession exclusive de son concurrent dès lors qu'il en avait connaissance au moment de la revente » (Paris, 9 avril 1962, ann. prop. ind 1963,p. 18).
 
L'utilisation d'un concept aussi vague que celui de faute basé en l'occurrence sur la simple connaissance du droit contractuel d'autrui, aboutit à renforcer considérablement l'effet obligatoire de telles conventions. Affirmer, en effet, qu'on est en faute parce que l'on n'a pas respecté le droit né du contrat revient à dire que l'on doit respecter un contrat auquel on n'est pourtant pas partie et à soumettre les obligations personnelles au même régime que les obligations réelles (opposabilité absolue).
Devant ce danger et les graves atteintes portées à la concurrence par les réseaux de distribution exclusive, la Cour de cassation vient de réagir, suivant en cela les autorités européennes.
Le revirement de jurisprudence et le rejet de ce délit autonome
Certains auteurs approuvent cette jurisprudence en faisant valoir deux arguments. Les usages imposeraient aux concurrents de respecter les conventions d'exclusivité. D'autre part, le commerçant hors réseau se livrerait à une concurrence déloyale dans la mesure où il profiterait des efforts de commercialisation de l'ensemble du réseau (publicité, marque, service après vente, ...).
C'est sur ce point que la Cour de cassation avait opéré un revirement de jurisprudence. Par deux arrêts, elle a affirmé que « le fait d'avoir importé en vue de la vente des produits en dépit des droits d'exclusivité, ne constituait pas, en lui-même, en l'absence d'autres éléments, un acte de concurrence déloyale » (16 février et 12 juillet 1983, D. 1984, p. 499, note Ferrier). C'est dire qu'il n'y a pas faute à violer les droits contractuels d'autrui si on ne peut démontrer, en plus de cette violation, un acte de concurrence déloyale. Cette jurisprudence a sans doute été inspirée par le droit communautaire beaucoup plus respectueux de la libre concurrence que le droit français. Elle reste sujette à de nouveaux revurements. On ne peut affirmer qu'elle est définitivement acquise tant les réseaux de distribution utilisent des formes nuancées qu'il est impossible de ramener à un schéma unitaire (concession exclusive, distribution sélective, franchise, ...). Le redoutable concept d'opposabilité (J. Duclos, « L'opposabilité, Essai d'une théorie générale », LGDJ, 1984), semble avoir une force inversement proportionnelle au cloisonnement des marchés tel qu'il résulte des formes modernes de distribution Il se réintroduit chaque fois que les juges estiment qu'un minimum de concurrence subsiste, ce qui semble être le cas avec certaines formes de distribution sélective et defranchise (obs. Mestre, RTD Civ. 1988, 127 et s, et de nombreuses références citées). En 2006, la jurisprudence des autorités françaises et communautaires n’est toujours pas fixée ;
 
 
SECTION  III: LE PROBLEME DE LA SIMULATION
 
Il y a simulation chaque fois que les parties cachent leur volonté véritable derrière une fausse apparence. Elles concluent une convention ostensible, mais leur volonté réelle est contenue dans l'acte secret ou contre-lettre. En vertu de l'autonomie de la volonté et de l'effet obligatoire, les parties sont normalement tenues de respecter l'acte secret
 
§ 1. LES FORMES DE LA SIMULATION
 
A - L'acte fictif
 
Dans cette hypothèse, la contre-lettre détruit entièrement l'acte apparent qui n'est que fictif (vente ostensible mais la contre-lettre précise que le « vendeur » reste propriétaire). Ce type d'opération correspond généralement à la volonté de faire fraude aux droits des tiers, spécialement des créanciers du prétendu vendeur qui organise son insolvabilité. Les tiers seront protégés par l'action en déclaration de simulation, action par laquelle la vérité sera rétablie.
 
B - Le déguisement
 
Ici le mensonge est le moins grave : la contre-lettre a simplement pour effet de modifier les effets de l'acte apparent Une situation juridique nouvelle est bien créée, mais elle est différente de celle que connaissent les tiers aux vues de l'acte apparent. Le déguisement peut porter sur la nature du contrat (vente dissimulant une donation). Le cas est fréquent pour tenter d'éluder les règles fiscales (les opérations à titre onéreux sont moins taxées que les actes à titre gratuit). Il peut porter sur certaines clauses seulement de l'opération, notamment sur son montant Une majoration du prix est fixée dans la contre-lettre. Là encore, ce sont essentiellement des considérations fiscales qui guident les parties. On cherche à ne payer les droits d'enregistrement que sur le prix officiellement déclaré.
 
C - L'interposition de personnes
 
 
Nous avons déjà signalé cette hypothèse en étudiant les parties au contrat Une personne figure comme partie à l'acte apparent, mais il est convenu dans la contre-lettre que c'est une autre qui est engagée et qui bénéficiera des effets du contrat Ce procédé est parfois utilisé pour faire échec aux incapacités relatives à certaines personnes (art 909 du C. civil : incapacité du médecin derecevoir une libéralité d'un de ses malades).
 
Le plus souvent, la simulation est destinée à réaliser une fraude Il existe pourtant des simulations non frauduleuses, ce qui explique la complexité du régime de la simulation.
 
§ 2. LE REGIME DE LA SIMULATION
 
Le principe de l'autonomie de la volonté conduit à reconnaître la prééminence de l'acte secret sur l'acte apparent puisqu'il contient la volonté réelle des parties D'un autre côté, la sécurité des tiers exige de donner effet à l'acte apparent car c'est celui dont ils ont connaissance. On en tire une double conclusion : l'acte secret est efficace en principe entre les parties et l'acte apparent l'est à l'égard des tiers.
 
A - Vahdité de la contre-lettre dans les rapports entre parties
 
a) Le principe est celui de l'efficacité de la contre-lettre
 
Il est posé par l'article 1321 du Code civil (les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes). Cela ne signifie pas que toute contre-lettre soit efficace. Elle l'est seulement lorsqu'elle aurait été efficace sous forme d'un acte apparent Si ostensiblement elle avait pu faire l'objet d'une nullité, elle est nulle aussi sous forme de contre-lettre. Il est logique qu'il soit impossible de faire en se cachant, ce qu'il aurait été impossible de faire ouvertement C'est la raison pour laquelle certains auteurs précisent qu'en elle-même, la simulation est neutre (Flour et Aubert, No 3 83).
 
b) Les exceptions
 
Exceptionnellement, la simulation est, en elle-même, une cause de nullité.
 
1.  Nullité de la seule contre-lettre
 
Afin de dissuader les particuliers de frauder le fisc, l'article 1840 du Code général des impôts prévoit que les contre-lettres majorant le prix officiellement déclaré dans certains contrats (cession d'office ministériel, vente d'immeuble, cession de fonds de commerce ou de clientèle), sont nulles La nullité ne vise que la contre-lettre, l'acte apparent reste valable. Cela signifie que le vendeur ne peut obtenir le paiement du supplément convenu et que si l'acheteur l'a versé, il pourra en obtenir la restitution Cette nullité a une double efficacité : elle vise à dissuader les particuliers de faire fraude au fisc ; si cette fraude a eu lieu, elle encouragera l'acheteur à invoquer la nullité pour récupérer le complément versé sans pour autant perdre le bénéfice de son acquisition
 
 
2. Nullité de la contre-lettre et de l'acte apparent
 
Ici la nullité frappe à la fois la contre-lettre et l'acte apparent, ce qui a pour effet de remettre les choses en l'état Ainsi, l'article 1099 al. 2 du Code civil annule les donations entre époux lorsqu'elles sont déguisées ou réalisées par interposition de personnes alors que si elles sont faites ostensiblement, elles sont valables.
 
c) La preuve de la simulation
 
Dans l'action en déclaration de simulation, l'acte secret doit comme tout acte juridique être prouvé par écrit L'écrit est nécessaire, même au-dessous de 5 000 francs, si l'acte apparent a luimême été passé par écrit Il y a là application pure et simple des règles sur la preuve.
 
B - Validité de l'acte apparent à l'égard des tiers
 
Le problème concerne soit les ayants cause à titre particulier, soit les créanciers chirographaires des parties à l'acte.
 
a) L'option ouverte aux tiers
 
Les tiers ont la faculté, selon leurs intérêts, de se prévaloir soit de l'acte apparent, soit de la contre-lettre (art 1321 du C. civil). S'agissant d'une vente fictive par exemple, les créanciers de l'acheteur ont intérêt à se prévaloir de l'acte ostensible alors que les créanciers du « vendeur » ont intérêt à invoquer l'acte secret pour prouver que celui-ci est bien resté propriétaire.
 
b) Le conflit entre les tiers
 
Dans cette hypothèse, le conflit est tranché en faveur de ceux qui invoquent l'acte apparent, ce qui est logique car la sécurité des transactions exige que l'on puisse se fier aux situations ostensibles, apparentes (Civ. 2 5 avril 193 9, D. 1940. 1, p. 12 , Soc. 14 décembre 1944, D. 1946. 1, p. 105, Plaisant).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

SECTION Il: L'EFFET RELATIF DU CONTRAT
 
 
L'article 1165 du Code civil pose le principe selon lequel le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes. Il ne doit ni nuire ni profiter aux tiers. Pendant longtemps, ce principe est apparu comme naturel Comment concevoir, en effet, qu'un contrat puisse engager quelqu'un qui n'y aurait pas souscrit ?
Pourtant, depuis 30 ans environ, il est contesté par une partie de la doctrine (notamment par M. Weil) qui a fait valoir qu'il correspondait à une société où les situations contractuelles étaient envisagées comme des mondes clos, à une société individualiste et atomistique qui n’est plus la notre aujourd’hui. La « collectivisation » (sans connotation idéologique) des contrats démontre que les relations individuelles sont interdépendantes les unes des autres.
La doctrine a donc été amenée à redéfinir la portée exacte de ce principe en distinguant l'effet obligatoire du contrat qui est limité aux parties et l'opposabilité du contrat envisagé comme un fait social. Le but et l'effet direct du contrat, c'est de produire des effets de droit, de créer des obligations entre les parties. Le principe de l'effet relatif ne concerne donc que l'effet obligatoire du contrat. Cela signifie que ne peuvent être créanciers ou débiteurs que ceux qui ont souscrit au contrat. Le contrat, cependant, crée un changement dans l'ordre juridique. Il constitue un fait social que personne ne peut ignorer. Ainsi, à la suite d'une vente, l'acquéreur est devenu propriétaire. Il pourra éventuellement louer son bien. Cette situation nouvelle constitue un fait social qui s'oppose à toute la collectivité juridique. C'est ce que l'on appelle l'opposabilité du contrat
 
 
§ 1. L'EFFET OBLIGATOIRE EST RELATIF (LIMITE) AUX PARTIES
 
Nul ne peut donc être partie à un contrat (c'est-à-dire créancier ou débiteur) sans l'avoir voulu. L'idée même d'obligation conventionnelle postule que vous ayez consenti à être créancier ou débiteur. Pourtant, si cette règle a gardé la valeur d'un principe général du droit des obligations, les exceptions légales ou jurisprudentielles à ce principe se multiplient de nos jours, encore que certaines soient de fausses exceptions.
 
A - Le principe général
 
Il se situe dans le droit fil de l'autonomie de la volonté. Les parties sont souveraines, mais ne le sont que sur elles-mêmes. Respectueux de la liberté individuelle, le Code civil considère que chacun doit s'occuper de ses propres affaires, non de celles d'autrui.
Les effets obligatoires découlant du contrat ne s'appliquent donc qu'aux parties au contrat (supra : la notion de parties au contrat).
B - Les fausses dérogations
 
On présente généralement deux institutions qui seraient des dérogations au principe de l'effet relatif Nous verrons qu'elles n'en sont pas, car si un tiers au contrat est engagé ou bénéficie d'un avantage, c'est seulement après en avoir manifesté la volonté. Le premier mécanisme joue assez rarement, en revanche, le second connaît un succès incontestable en jurisprudence, succès tel que l'on peut même parler d'inflation à son propos,
 
 
a) La promesse de porte-fort (ou promesse pour autrui)
 
La promesse de porte-fort est constituée par l'engagement que prend une personne à l'égard d'une autre personne qu'un tiers acceptera d'être obligé. On promet donc qu'autrui s'engagera (art. 1120). (Un co-indivisaire vend un bien indivis à son co-contractant, se portant fort de ce que les co-indivisaires ratifieront la vente intervenue.)
 
Le mécanisme joue essentiellement dans les hypothèses de la représentation légale ou conventionnelle : le représentant veut passer un contrat qui excède la limite de ses pouvoirs. Il se porte fort de la ratification de l'opération par le mandant. Le tuteur passe un acte juridique au nom du pupille alors que cet acte excède ses pouvoirs, il se porte fort de ce que le pupille, à sa majorité, ratifiera l'opération
 
Il ne s'agit pas d'une véritable exception à l'effet relatif des conventions. En effet, au moment de la promesse, seul le promettant est juridiquement engagé. Si donc le tiers pour lequel il s'est engagé ne ratifie pas l'opération, il sera seul tenu Contractuellement responsable de l'inexécution du contrat. Il pourra être condamné à verser des dommages et intérêts à son co-contractant. Mais le tiers ne peut se voir imposer une charge qu'il n'a pas voulue. C'est seulement si le tiers accepte d'être obligé qu'il sera considéré comme partie au contrat. Il importe de noter que s'il accepte, il est rétroactivement engagé au jour où le contrat de porte-fort a été passé. Il est donc rétroactivement partie au contrat (art Il21 du C civil).
 
b) L'inflation des stipulations pour autrui
 
1) Le mécanisme de la stipulation pour autrui.
 
Il permet de faire naître un droit au profit d'un tiers. La stipulation pour autrui est le mécanisme juridique par lequel une personne (le stipulant) obtient d'une autre (le promettant) l'engagement d'exécuter une prestation au profit d'une troisième personne (le tiers bénéficiaire). Dans le contrat de transport, l'expéditeur (stipulant) obtient du transporteur (promettant) qu'il livre telle marchandise au profit du destinataire (tiers bénéficiaire).
 
La stipulation est donc un mécanisme à trois personnages. Les trois rapports juridiques qui s'établissent entre eux méritent d'être explicités.
 
. Le rapport stipulant-promettant
C'est le rapport initial. Il s'agit le plus souvent d'un simple contrat à titre onéreux (assurance-vie), rarement d'un contrat à titre gratuit (donation à une personne à charge de récompenser chaque année des individus méritants).
Comme tout créancier originaire, le stipulant a contre le promettant le droit de le contraindre à exécuter sa prestation au profit du bénéficiaire. De même, il peut demander la résolution du contrat si le promettant n'exécute pas sa prestation, obtenant ainsi la restitution des sommes versées (assurance-vie). Si le contrat l'a prévu (c'est fréquemment le cas dans les assurances sur la vie), il peut résilier le contrat ou modifier le nom du bénéficiaire.
 
. Le rapport promettant-tiers bénéficiaire
C'est le rapport le plus original dans la stipulation pour autrui
Le tiers bénéficiaire acquiert un droit contre le promettant Alors qu'aucun contrat n'a été passé entre eux, le tiers bénéficiaire acquiert un droit direct contre le promettant. Il faut signaler cependant que le tiers doit donner son consentement et que son droit reste dépendant du contrat initial C'est pourquoi il n'y a pas exception réelle au principe de l'effet relatif
 
- C'est un droit direct
 
Cela signifie que le bénéficiaire est considéré comme le créancier direct du promettant, comme partie à un contrat avec le promettant
Les conséquences pratiques de cette solution sont très avantageuses pour le tiers bénéficiaire. Bénéficiant d'un droit direct contre le promettant, on considère que le tiers bénéficiaire est titulaire d'une créance qui ne fait jamais partie du patrimoine de stipulant Elle échappe donc aux créanciers de celui-ci qui ne peuvent la saisir. Si l'on prend l'exemple de l'assurance-vie au profit d'un tiers, les créanciers du stipulant insolvable ne pourront faire valoir aucun droit sur le capital versé par la compagnie au bénéficiaire, car il existe un lien de droit direct entre le promettant et le bénéficiaire.
 
De même, les héritiers réservataires du stipulant ne pourront contester l'opération en prétendant que le capital excède la quotité disponible. Le capital ne fait pas partie du patrimoine du stipulant ; il est versé à titre personnel au bénéficiaire par le promettant
 
 
- C'est un droit dépendant du contrat initial
 
La cause juridique des rapports promettant-tiers bénéficiaire réside dans le contrat initial passé entre le stipulant et le promettant. Tout ce qui peut affecter le contrat initial se répercutera sur le droit du bénéficiaire. Le promettant peut donc opposer au bénéficiaire toutes les exceptions ou moyens de défense qu'il aurait pu faire valoir à l'encontre du stipulant En réalité, si le contrat initial est nul ou inexécuté, cela empêche le droit du bénéficiaire de naître.
 
. Le rapport stipulant-tiers bénéficiaire
Le stipulant peut révoquer la stipulation jusqu'à son acceptation par le bénéficiaire. Il y a là l'idée selon laquelle le droit du bénéficiaire dépend du contrat initial et est précaire.
L'acceptation est une condition de la stipulation pour autrui Il n'y a donc pas à proprement parler exception à l'effet relatif des conventions. Mais elle procède rétroactivement : on considère que le droit du bénéficiaire a pris naissance lors de la conclusion du contrat initial et la mort du stipulant n'interdit pas par exemple au bénéficiaire d'accepter la stipulation (droit direct).
Les droits acquis par le bénéficiaire le sont souvent, le plus souvent à titre onéreux L'ensemble du droit des transports repose sur le mécanisme de la stipulation pour autrui (expédition de marchandises, assurance pour le compte de qui il appartiendra). Le droit peut être acquis à titre gratuit (l'assurance sur la vie constitue, dit-on, une donation indirecte au profit du bénéficiaire).
 
Par faveur pour le développement de l'assurance, la loi du 15 juillet 1930 a décidé que les primes ne peuvent être atteintes par les règles du rapport et de la réduction de la succession que si elles étaient manifestement exagérées eu égard aux facultés financières de l'assuré.
 
2. Nature juridique et domaine de la stipulation pour autrui.
 
Individualiste, le Code civil voyait avec défaveur cette institution. Il ne lui consacre qu'un article. L'article 1121 dispose qu'on ne peut stipuler au profit d'un tiers que « lorsque telle est la condition d'une stipulation que l'on fait pour soi-même ou d'une donation que l'on fait à un autre ». Nous verrons que la jurisprudence admet très largement aujourd'hui les stipulations pour autrui quand elle ne les invente pas de toute pièce.
 
Il reste que la nature juridique de la stipulation est mal définie.
 
 
. Nature juridique
 
Plusieurs explications ont été proposées.
- La théorie du double contrat : il y aurait le premier contrat passé entre le stipulant et le promettant et le stipulant proposerait de le céder au tiers bénéficiaire. Cette offre, acceptée, donnerait lieu à la conclusion d'un second contrat. Cette théorie est rejetée aujourd'hui, car elle n'explique pas l'existence du droit direct du bénéficiaire à l'égard du promettant
- La gestion d'affaire : le stipulant serait le gérant d'affaires du bénéficiaire. Cette explication est erronée. Le stipulant peut révoquer la stipulation alors que le gérant a l'obligation de mener sa gestion à son terme. La stipulation suppose l'acceptation du bénéficiaire alors que celui dont on a géré l'affaire est engagé sans l'avoir voulu
- Une institution originale fondée sur l'engagement unilatéral de volonté. On est en présence d'un contrat entre stipulant et promettant et d'un engagement unilatéral de volonté de la part du promettant
 
. Domaine
Il est immense. Alors que les textes du Code civil paraissent limiter le domaine de la stipulation pour autrui à des hypothèses exceptionnelles, ses applications pratiques se sont multipliées et elle est devenue le soutien indispensable de nombreuses opérations juridiques (assurances). La jurisprudence s'est montrée très bienveillante quant aux conditions posées à la validité de la stipulation pour autrui. Désormais, il suffit que le stipulant ait un intérêt simplement moral à l'opération pour qu'on admette la validité de la stipulation. De plus, la stipulation peut être faite au bénéfice de personnes futures et indéterminées (assurance-vie au profit d'enfants , assurance pour le compte de qui il appartiendra).
 
Il faut signaler enfin que la jurisprudence a su « inventer » des stipulations pour autrui dans certains contrats faisant ainsi bénéficier une personne d'un avantage qui n'avait pas été prévu (transfusion sanguine : Civ. 17 décembre 1954, D. 1955.269). Elle utilise même ce mécanisme pour permettre, en réalité, de véritables cessions de contrats.
 
L'évolution amorcée en 1978 (Civ. 21 novembre 1978, D. 1980, 309 ; JCP 1980.11, 19315, note P. Rodière) s'est achevée par un important arrêt de principe (8 décembre 1987, Bull 1, No 343, obs. Mestre, RTD, Civ. 1988, 532) selon lequel « la stipulation pour autrui n'exclut pas, dans le cas d'acceptation par le bénéficiaire (souligné par nous), qu'il soit tenu de certaines obligations ».
En admettant qu'il puisse y avoir avantage au sens de l'article 1121 du Code civil même lorsque le droit du tiers bénéficiaire est assorti d'une obligation, les magistrats facilitent la transmission des contrats dans la mesure où ce sont des droits et obligations qui « profitent » au tiers bénéficiaire s'il les accepte.
C - Les vraies exceptions, les obligations réelles
 
 
Elles ont tendance à se multiplier. Dans de nombreux cas le législateur et la jurisprudence étendent les effets d'un contrat à d'autres que les parties sans qu'il y ait eu manifestation de volonté de la part des intéressés. C'est souvent en se fondant sur l'idée de stipulation pour autrui que les juges parviennent à ce résultat
 
Pratiquement, cette atteinte au principe de la relativité n'intéresse qu'une catégorie de personnes : les ayants-cause à titre particulier (voir supra dans le cours les distinctions proposées). Le problème se pose, en effet, lorsqu'un bien ou un droit a été transmis par une personne à une autre (l'ayant-cause). L'ayant cause qui bénéficie de la transmission du bien peut-il profiter d'une créance relative au bien transmis et doit-il supporter une dette ou être engagé par un contrat auquel il n'est pas partie mais qui sont en rapport avec ledit bien ? On parle, dans ces hypothèses, d'obligation réelle car, ainsi que nous l'avons vu, le lien obligatoire ne repose pas expressément sur la volonté du créancier et du débiteur mais est attaché à la chose (res en latin) ou au droit qui a fait l'objet de la transmission. Il existe une seule exception remarquable à l'effet relatif du contrat et qui concerne des tiers absolus. En matière d'assurance, la victime du dommage d'un accident dispose ainsi d'une action directe contre l'assureur de l'auteur du dommage pour l'indemnité réparatrice. Le législateur a prévu cette exception à l'effet relatif des conventions par faveur pour les victimes. L'indemnité ne tombe pas dans le patrimoine de l'assuré. Elle ne peut donc ni être saisie par ses créanciers ni être dilapidée par lui.
 
a) Les exceptions légales
 
1. Le maintien d'un contrat au profit ou à la charge d'un acquéreur à titre particulier
 
Dans ces hypothèses, l'ayant-cause est tenu ou bénéficie du contrat passé par son auteur par exception à l'effet relatif. Les exemples sont assez nombreux. Signalons les plus intéressants. L'acquéreur d'une chose assurée bénéficie du contrat d'assurance passé par son auteur. De même que l'acquéreur d'un immeuble loué est tenu de respecter le contrat de bail passé par le vendeur dès lors que ce contrat a date certaine. Il ne peut donc expulser le locataire.
 
En vertu d'un texte célèbre (l'art L 122-12 du Code du travail), l'acquéreur d'une entreprise (succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société) est tenu de respecter les contrats de travail en cours. Ce texte vise à protéger les salariés. Il ne faut cependant pas en exagérer la portée. Le nouvel acquéreur pourra toujours licencier les salariés, mais c'est lui qui devra assurer le versement des indemnités de licenciement. L'article 10 de la loi du 16 juillet 1964 sur le « régime contractuel » en agriculture prévoit que l'acquéreur d'une entreprise agricole est tenu de respecter l'accord interprofessionnel à long terme et les contrats conclus, dans le cadre de cet accord, par son auteur et une entreprise industrielle. Il faut faire attention, ce n'est que si un tel accord a été conclu qu'il y a dérogation à l'effet relatif des contrats. Or, de tels accords sont rares.
On sait aussi que l'acquéreur d'un immeuble ou d'un appartement en copropriété est tenu par le règlement de copropriété si celui-ci a été publié au fichier immobilier. Signalons enfin les textes relatifs aux entreprises en difficulté qui prévoient que le jugement qui arrête le plan de sauvetage de l'entreprise emporte de plein droit cession des contrats nécessaires au succès du plan au profit et à la charge du cessionnaire.
 
Toutes ces hypothèses nous mettent en présence d'obligations réelles portant soit sur une chose corporelle (la chose assurée) soit sur une chose incorporelle (l'entreprise). Dans ce dernier cas, l'obligation réelle est totalement dématérialisée.
 
2. Les actions directes
 
La loi accorde parfois une action directe à un contractant contre l'ayant-cause de son contractant, personne avec laquelle il n'a pourtant pas contracté. Le bénéficiaire de cette action se présente comme créancier d'un contrat qu'il n'a pas passé. L'article 1798 du Code civil précise que les ouvriers qui ont été employés à la construction d'un bâtiment disposent, au cas où l'entrepreneur ne les paie pas, d'une action directe contre le maître de l'ouvrage qui avait contracté avec l'entrepreneur. De même, l'article 1994 al. 2 du Code civil prévoit que le mandant peut agir directement contre la personne que le mandataire s'est substitué, c'est-à-dire le sous-mandataire. Le bailleur peut, pour sa part, si son locataire a sous-loué, demander directement paiement des loyers au sous-locataire. En dehors de ces hypothèses prévues expressément par la loi, la jurisprudence a admis, elle aussi, des exceptions à l'effet relatif
 
b) Les exceptions jurisprudentielles
 
La question des exceptions à l'effet relatif ne se pose en pratique que pour les obligations ayant un lien étroit avec un bien transmis ; elle intéresse donc essentiellement les ayants-cause à titre particulier.
 
On admet a priori plus facilement l'extension des effets obligatoires lorsqu'il s'agit d'une créance que lorsqu'il s'agit d'une dette ou d'un contrat Dans la première hypothèse, l'opération bénéficie à l'ayant-cause, dans les deux autres, elle le rend débiteur (G. Farjat, p. 282 ; Marty et Raynaud, Nos 238 et s.).
Cette démarche n'est pourtant pas logique. Elle n'envisage que la situation de l'ayant-cause et non celle du co-contractant de l'auteur du bien transmis, Or, il peut ne pas lui être indifférent d'avoir tel ou tel créancier.
Voyons les solutions jurisprudentielles et le fondement de ces solutions
 
La transmission des créances
 
La jurisprudence a admis assez tôt la transmission à l'ayant cause à titre particulier d'une créance ayant un lien étroit avec le bien transmis. L'exemple le plus célèbre concerne l'obligation de non-concurrence ou de non rétablissement du vendeur du fonds de commerce. Souscrite à l'égard du premier acquéreur, on considère qu'elle est transmise à tous les acquéreurs successifs qui pourront s'en prévaloir pour faire cesser le trouble, même si les contrats ne le prévoient pas expressément L'idée est que celui qui vend un fonds de commerce viderait de sa substance une telle vente s'il se rétablissait auprès du fonds cédé. La jurisprudence a aussi consacré une exception à l'effet relatif des contrats dans d'autres hypothèses. Ainsi, le sous-acquéreur d'un immeuble bénéficie de plein droit de l'action en garantie dont disposait le vendeur envers l'architecte et l'entrepreneur. De même, le sous-acquéreur bénéficie-t-il de l'action en garantie des vices cachés (art 1641 du Code civil) dont disposait l'acquéreur initial (Civ. 12 novembre 1884, D. 1885. 1.357).
 
L'utilité pratique de cette jurisprudence est évidente. Si l'on appliquait strictement le principe de l'effet relatif des contrats, on aurait une cascade de recours successifs. La solution admise par les juges évite cette cascade de recours ce qui constitue une économie de temps et d'argent Le consommateur peut agir directement contre le fabricant alors que si l'on respectait le principe de l'effet relatif, il devrait assigner le détaillant, lequel agirait contre le grossiste, lequel se retournerait à son tour contre le fabricant.
La jurisprudence refuse, en revanche, la transmission de la créance lorsqu'elle estime que le lien entre l'obligation et la chose n'est pas assez étroit. Ainsi, l'acquéreur d'un appartement loué ne peut pas demander la résolution du contrat de bail consenti par son vendeur au motif que le locataire n'a pas payé les loyers antérieurs à l'acte de cession (Soc 20 décembre 1957, D.1958, p. 81, note Lindon).
En ce qui concerne la clause d'habitation bourgeoise, les solutions varient selon que les juges la considèrent comme une obligation personnelle (Civ. 12 juin 1934, DH 1934, p. 410), ou comme une servitude, une obligation réelle (Civ. 29 mars 1933, DH 1933. 282).
 
 
2. La transmission des dettes ?
 
La question est de savoir si l'ayant-cause peut être tenu des dettes contractées par son auteur qui ont un rapport étroit avec le bien transmis ?
 
Dans cette hypothèse, la jurisprudence a toujours refusé de faire échec au principe de l'effet relatif des contrats. L'idée est qu'il est plus grave de rendre quelqu'un débiteur que créancier, sauf engagement exprès de reprendre à son compte les dettes contractées par son auteur. Ainsi, le directeur d'une salle de spectacle n'est pas lié par le contrat passé par son auteur pour la fourniture d'électricité, le commerçant n'est pas tenu par l'entente souscrite par son ven deur (Civ. 15 janvier 1918, D. 191 & 1 , p. 17). « Le successeur ou ayant-cause à titre particulier n'est pas de plein droit, et comme tel, directement tenu des obligations personnelles de son auteur ;... ce principe s'applique même aux conventions que ce dernier aurait passées par rapport à la chose formant l'objet de la transmission. »
La doctrine approuve généralement cette solution, encore qu'on puisse faire valoir qu'il n'y a aucune raison de distinguer entre transmission des créances et transmission des dettes
Il reste que cette hypothèse de transmission des dettes est exceptionnelle. En effet, il est rare qu'il y ait transmission d'une dette sans transmission corrélative d'une créance. C'est donc le problème de la transmission du contrat avec obligations réciproques qui se pose, ce que ne voit pas toujours la doctrine lorsqu'elle s'interroge sur le problème de la transmission des dettes.
 
 
3. Transmission des contrats synallagmatiques
 
Les parties peuvent elles-mêmes prévoir la transmission d'un contrat avec la transmission d'un bien à un ayant cause. La chose est fréquente en matière de distribution, où le concessionnaire s'engage, en cas de cession de son fonds, à imposer à son acquéreur la continuation du contrat de concession exclusive qu'il a signé avec le concédant On la rencontre aussi dans le secteur de l'agriculture intégrée.
 
Le problème ne se pose véritablement qu'en l'absence de convention expresse entre les parties. Peut-on admettre la transmission d'un contrat ayant un lien étroit avec le bien transmis ?
 
On affirme généralement qu'il n'est pas possible d'admettre la transmission du contrat à l'ayant cause. Si le législateur peut exceptionnellement étendre l'effet obligatoire du contrat à l'ayant cause à titre particulier, la jurisprudence ne saurait se reconnaître un tel droit L'article 116 5 du Code civil ferait obstacle à de telles dérogations à l'effet relatif.
 
Certains auteurs, cependant, se montrent favorables à une telle transmission (Planiol et Ripert, « Traité de droit civil », 2ème éd, tome IV, No 332 , Weil, thèse, No 519). Lorsque les obligations et les droits nés du contrat n'ont d'utilité qu'au regard de la chose transmise, il faudrait faciliter la transmission à l'ayant-cause des droits nés du contrat synallagmatique. Il serait soumis aux obligations et bénéficierait des droits issus du contrat L'autre partie au contrat pourrait lui opposer l'exception d'inexécution si l'ayant cause ne se soumet pas aux obligations. On trouve de rares décisions jurisprudentielles qui ont admis une telle transmission mais elles restent exceptionnelles. (Req. 17 février 193 1, D. 193 1. 1, p. 4 1, note Voirin.)
 
La jurisprudence a considéré que l'acquéreur d'un fonds de commerce était tenu par une clause d'approvisionnement exclusif souscrite par son auteur (CA Rouen, 28 novembre 1925, D. 1927. 11, p. 172). Elle a estimé que la clause par laquelle un commerçant s'engageait à ne pas faire concurrence à son vendeur sur certains articles avait force obligatoire à l'égard du sous-acquéreur parce qu'elle constituait un « droit réel mobilier ». Ceci nous conduit à envisager le fondement des solutions jurisprudentielles.
 
4. Le fondement des solutions jurisprudentielles
 
. La cession implicite de créance ou de contrat
 
Certains, pour justifier les exceptions à la relativité des conventions, ont mis en avant l'idée de cession implicite de créance ou de contrat de l'auteur à l'ayant-cause à titre particulier. Nous verrons qu'il est impossible d'admettre une telle analyse. D'abord elle repose sur une fiction : la prétendue volonté de céder le contrat Ensuite, elle est en contradiction avec les termes de l'article 1690 du Code civil relatif à la cession du contrat Devant les « dangers » d'une telle cession, le Code civil impose un formalisme strict, ce qui exclut la possibilité d'admettre des cessions implicites.
 
. La stipulation pour autrui
 
Nous avons signalé l'essor de cette institution, spécialement ces dernières années (Civ. 21 novembre 1978, précité ; Versailles, 2 juin 1987, BUIL Joly des Sociétés, 1987, 691 , Civ. 8 décembre 1987, précité).
 
Si l'on prend l'exemple de la clause de non-concurrence, le vendeur initial du fonds se serait engagé non seulement à l'égard de son acquéreur, mais aussi à l'égard de tous les sous-acquéreurs futurs, bénéficiaires d'une stipulation pour autrui.
 
Cette analyse n'est pas satisfaisante dans la mesure où elle repose sur une fiction : la prétendue volonté de s'engager envers des tiers bénéficiaires.
 
Pourtant, la jurisprudence n’hésite plus à dissimuler de véritables cessions de contrat derrière de prétendues stipulations pour autrui en interprétant assez largement la notion d'avantage au profit du tiers.
 
 
. L'obligation réelle
 
On estime ici que les droits et obligations qui lient deux personnes, les lient à raison de la chose dont ils sont en sorte l'accessoire. Le critère des droits et obligations qui seraient transmissibles avec la chose cédée serait celui de l'utilité. On pourrait admettre la transmission des créances à l'ayant-cause chaque fois que ces dernières ne présentent plus d'intérêt pour l'auteur mais qu'elles sont utiles à l'ayant-cause (clause de non-concurrence action en garantie).
 
L'admission de telles obligations réelles ne soulève pas de grandes difficultés lorsque le bien cédé est une chose corporelle. Le Code civil lui-même donne des exemples d'obligations réelles notamment en matière immobilière (servitude in faciendo) et la jurisprudence consacre la transmission de l'action en garantie contre les architectes et entrepreneurs ainsi que l'action en garantie des vices cachés.
 
On doit signaler un mouvement profond en droit qui conduit à un développement considérable des actions contractuelles directes (Ph Rémy, RTD Civ. 547 et s. et les nombreuses références).
 
L'idée d'obligation réelle portant sur un bien incorporel ne reposerait en revanche sur rien (G. Farjat, p. 286). L'affirmation peut surprendre et l'on observe que le législateur n'hésite pas à consacrer des obligations réelles dématérialisées (art L 122-12 du Code du travail ; art. 86 de la loi sur les entreprises en difficulté).
 
Il organise de plus en plus souvent la transmission des contrats à raison de «~ l'entreprise », laquelle n'est pas une chose corporelle, mais une chose incorporelle. L'obligation de non-concurrence que notre droit connaît depuis longtemps ne porte-t-elle pas sur un bien incorporel : le fonds de commerce.
 
Force est de reconnaître l'existence d'obligations réelles matérialisées, mais aussi dématérialisées.
 
 
§ 2. L'OPPOSABILITE DU CONTRAT
 
Le contrat est un fait social Toute convention ayant pour objet de créer, de transmettre ou d'éteindre des obligations bouleverse l'ordonnancement juridique. Même si l'effet obligatoire est relatif aux parties, la situation nouvelle issue du contrat s'impose aux tiers de même que ceux-ci peuvent s'en prévaloir.
 
A - Le contrat est invoqué par les tiers
 
a) Le contrat, source de renseignements pour les tiers
 
Les tiers invoquent souvent l'existence d'un contrat pour faire la preuve d'un fait. Il est fréquent, par exemple, qu'une société d'assurance demande de produire le contrat qui apportera la preuve de la valeur de l'objet détruit ou volé.
 
b) Le contrat, source de responsabilité délictuelle
La mauvaise exécution du contrat peut causer un préjudice au co-contractant (ce que nous envisageons dans le cadre de la responsabilité contractuelle) ; elle peut aussi causer un préjudice à des tiers au contrat Ceux-ci vont pouvoir invoquer le contrat en tant que fait pour rechercher le responsable du dommage.
Le tiers victime d'un accident pourra invoquer le contrat passé entre l'auteur de l'accident et le garagiste à qui le véhicule a été confié pour une réparation qui n'a pas été correctement faite.
Le Code civil lui-même prévoit cette situation L'article 1384 al. 5 dispose que les maîtres ou commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. Le tiers victime des agissements fautifs du préposé pourra invoquer le contrat de travail pour engager la responsabilité du commettant (employeur).
 
Le tiers, extérieur au contrat, n'agit donc jamais sur le terrain de la responsabilité contractuelle mais sur celui de la responsabilité délictuelle.
 
 
B - Le contrat est opposé aux tiers
 
(B. Starck, « Des contrats conclus en violation des droits contractuels d'autrui », JCP 1954.1-1180 ; S. Ginossar, « La fraude aux droits d'autrui est-elle licite ? », Mélanges Dabin, tome 1, p. 615). Ces lectures restent fondamentales.
 
L'opposabilité du contrat aux tiers a soulevé un très important contentieux.  Normalement pour que la sécurité juridique soit assurée, les contrats doivent être respectés. Les situations juridiques créées par contrats doivent s'imposer au respect de la communauté juridique, il reste que les frontières de l'opposabilité du contrat sont incertaines, et que l'opposabilité du contrat risque d'entrer en contradiction avec la liberté du commerce et de l'industrie.
 
a) Les contrats relatifs aux droits réels et les contrats constitutifs de personnes morales
 
Les droits réels sont opposables à tous Aussi, les contrats relatifs aux droits réels sont-ils opposables aux tiers car ils en constituent « l'assise ». Les contrats qui assurent la transmission de droits réels, le démembrement et la création de droits réels où l'extinction de ces droits sont donc opposables aux tiers sous réserve du respect éventuel des règles de la publicité (droit des biens).
La règle est logique car celui qui invoque un droit de propriété se fonde sur une série de contrats lui ayant transmis son droit L'opposabilité de son droit se fonde sur l'opposabilité des contrats
Il en est de même des contrats constitutifs des personnes morales, sous réserve, là encore, du respect des règles de publicité. Le contrat constitutif de la personne morale s'impose à tous
 
b) Les contrats faisant naître des obligations personnelles
C'est ici que l'évolution de la doctrine et de la jurisprudence est la plus nette. Contrairement à ce que l'on pensait au siècle dernier, on tend à considérer aujourd'hui que les contrats faisant naître des obligations personnelles sont opposables aux tiers. Les solutions doivent être nuancées car certaines applications de l'opposabilité du contrat peuvent pratiquement vider de son sens le principe de la relativité des conventions et porter sensiblement atteinte à la fibre concurrence.
 
1. Le tiers complice de la violation du contrat
 
On admet depuis longtemps que le tiers qui se rend complice de la violation par une partie au contrat de ses obligations contractuelles engage sa responsabilité délictuelle. Ainsi, l'employeur qui débauche un salarié sous contrat engage sa responsabilité délictuelle, alors que le salarié engage sa responsabilité contractuelle.
 
 
2. Le tiers ne respecte pas le droit contractuel d'autrui
 
Une partie de la doctrine et la jurisprudence sont allées beaucoup plus loin Elles considèrent qu'il y a faute du tiers à ne pas respecter le droit contractuel d'autrui quand ce droit est connu La responsabilité délictuelle du tiers est considérée comme une responsabilité autonome basée sur une sorte de délit civil autonome : le non-respect en connaissance de cause des droits contractuels d'autrui
 
La question est l'objet d'un abondant contentieux essentiellement illustré par les contrats de distribution exclusive, dans lequel les solutions du droit communautaire exercent une influence évidente.
 
 
3. Un délit autonome : le non respect des droits contractuels d'autrui ?
Un exemple concret montrera les enjeux qui s'attachent aux décisions jurisprudentielles. Il existe des réseaux de distribution exclusive ou sélective dans lesquels les produits sont distribués par des concessionnaires exclusifs dont chacun détient un territoire déterminé de vente. Il arrive qu'un commerçant hors réseau (on parle d'importations parallèles) se procure les produits soumis à concession exclusive, notamment en les achetant dans un autre pays, et les revende au mépris des conventions d'exclusivité. La jurisprudence offre au concessionnaire, dont l'exclusivité a été violée, des moyens qui font produire des effets importants à cette exclusivité. L'article 116 5 du Code civil et le principe de l'effet relatif lui interdisent d'opposer le contrat au tiers importateur, mais la jurisprudence considère que les obligations personnelles nées du contrat sont opposables à ce tiers qui doit les respecter. Aussi, lorsque ce tiers, en connaissance de cause, a violé les droits contractuels d'autrui (l'exclusivité) il engage sa responsabilité délictuelle (Aix, 14 octobre 1958, JCP 59.11.10924 ; Trib. Coin Nantes 23 avril 1956, D. 56, p. 731 ; Nice 29 avril 1955, JCP 56.11.9640 ; Coin. 16 mars 1965, Bull. III, No 199, p. 170 ; Coin. 21 février 1978, RTD, Coin 1979, 312, obs. Hémard).
 
La simple connaissance du droit contractuel d'autrui suffit-elle à caractériser la faute du tiers ? On peut alors dire que la simple connaissance du réseau constitue la faute. En effet, la faute du tiers sera établie dès lors qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer l'exclusivité reconnue par le concédant au concessionnaire victime. L'existence de la marque, d'éléments de publicité fait que, le plus souvent, on admet que le tiers ne pouvait ignorer cette exclusivité.
 
Cette sévérité à l'égard du tiers est encore renforcée par la position de la jurisprudence quant à la date à laquelle cette connaissance devra être prouvée. La Cour de Paris a, en effet, considéré qu'il « importe peu que l'importateur ait ignoré au moment de son achat la concession exclusive de son concurrent dès lors qu'il en avait connaissance au moment de la revente » (Paris, 9 avril 1962, ann. prop. ind 1963,p. 18).
 
L'utilisation d'un concept aussi vague que celui de faute basé en l'occurrence sur la simple connaissance du droit contractuel d'autrui, aboutit à renforcer considérablement l'effet obligatoire de telles conventions. Affirmer, en effet, qu'on est en faute parce que l'on n'a pas respecté le droit né du contrat revient à dire que l'on doit respecter un contrat auquel on n'est pourtant pas partie et à soumettre les obligations personnelles au même régime que les obligations réelles (opposabilité absolue).
Devant ce danger et les graves atteintes portées à la concurrence par les réseaux de distribution exclusive, la Cour de cassation vient de réagir, suivant en cela les autorités européennes.
Le revirement de jurisprudence et le rejet de ce délit autonome
Certains auteurs approuvent cette jurisprudence en faisant valoir deux arguments. Les usages imposeraient aux concurrents de respecter les conventions d'exclusivité. D'autre part, le commerçant hors réseau se livrerait à une concurrence déloyale dans la mesure où il profiterait des efforts de commercialisation de l'ensemble du réseau (publicité, marque, service après vente, ...).
C'est sur ce point que la Cour de cassation avait opéré un revirement de jurisprudence. Par deux arrêts, elle a affirmé que « le fait d'avoir importé en vue de la vente des produits en dépit des droits d'exclusivité, ne constituait pas, en lui-même, en l'absence d'autres éléments, un acte de concurrence déloyale » (16 février et 12 juillet 1983, D. 1984, p. 499, note Ferrier). C'est dire qu'il n'y a pas faute à violer les droits contractuels d'autrui si on ne peut démontrer, en plus de cette violation, un acte de concurrence déloyale. Cette jurisprudence a sans doute été inspirée par le droit communautaire beaucoup plus respectueux de la libre concurrence que le droit français. Elle reste sujette à de nouveaux revurements. On ne peut affirmer qu'elle est définitivement acquise tant les réseaux de distribution utilisent des formes nuancées qu'il est impossible de ramener à un schéma unitaire (concession exclusive, distribution sélective, franchise, ...). Le redoutable concept d'opposabilité (J. Duclos, « L'opposabilité, Essai d'une théorie générale », LGDJ, 1984), semble avoir une force inversement proportionnelle au cloisonnement des marchés tel qu'il résulte des formes modernes de distribution Il se réintroduit chaque fois que les juges estiment qu'un minimum de concurrence subsiste, ce qui semble être le cas avec certaines formes de distribution sélective et defranchise (obs. Mestre, RTD Civ. 1988, 127 et s, et de nombreuses références citées). En 2006, la jurisprudence des autorités françaises et communautaires n’est toujours pas fixée ;
 
 
SECTION  III: LE PROBLEME DE LA SIMULATION
 
Il y a simulation chaque fois que les parties cachent leur volonté véritable derrière une fausse apparence. Elles concluent une convention ostensible, mais leur volonté réelle est contenue dans l'acte secret ou contre-lettre. En vertu de l'autonomie de la volonté et de l'effet obligatoire, les parties sont normalement tenues de respecter l'acte secret
 
§ 1. LES FORMES DE LA SIMULATION
 
A - L'acte fictif
 
Dans cette hypothèse, la contre-lettre détruit entièrement l'acte apparent qui n'est que fictif (vente ostensible mais la contre-lettre précise que le « vendeur » reste propriétaire). Ce type d'opération correspond généralement à la volonté de faire fraude aux droits des tiers, spécialement des créanciers du prétendu vendeur qui organise son insolvabilité. Les tiers seront protégés par l'action en déclaration de simulation, action par laquelle la vérité sera rétablie.
 
B - Le déguisement
 
Ici le mensonge est le moins grave : la contre-lettre a simplement pour effet de modifier les effets de l'acte apparent Une situation juridique nouvelle est bien créée, mais elle est différente de celle que connaissent les tiers aux vues de l'acte apparent. Le déguisement peut porter sur la nature du contrat (vente dissimulant une donation). Le cas est fréquent pour tenter d'éluder les règles fiscales (les opérations à titre onéreux sont moins taxées que les actes à titre gratuit). Il peut porter sur certaines clauses seulement de l'opération, notamment sur son montant Une majoration du prix est fixée dans la contre-lettre. Là encore, ce sont essentiellement des considérations fiscales qui guident les parties. On cherche à ne payer les droits d'enregistrement que sur le prix officiellement déclaré.
 
C - L'interposition de personnes
 
 
Nous avons déjà signalé cette hypothèse en étudiant les parties au contrat Une personne figure comme partie à l'acte apparent, mais il est convenu dans la contre-lettre que c'est une autre qui est engagée et qui bénéficiera des effets du contrat Ce procédé est parfois utilisé pour faire échec aux incapacités relatives à certaines personnes (art 909 du C. civil : incapacité du médecin derecevoir une libéralité d'un de ses malades).
 
Le plus souvent, la simulation est destinée à réaliser une fraude Il existe pourtant des simulations non frauduleuses, ce qui explique la complexité du régime de la simulation.
 
§ 2. LE REGIME DE LA SIMULATION
 
Le principe de l'autonomie de la volonté conduit à reconnaître la prééminence de l'acte secret sur l'acte apparent puisqu'il contient la volonté réelle des parties D'un autre côté, la sécurité des tiers exige de donner effet à l'acte apparent car c'est celui dont ils ont connaissance. On en tire une double conclusion : l'acte secret est efficace en principe entre les parties et l'acte apparent l'est à l'égard des tiers.
 
A - Vahdité de la contre-lettre dans les rapports entre parties
 
a) Le principe est celui de l'efficacité de la contre-lettre
 
Il est posé par l'article 1321 du Code civil (les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes). Cela ne signifie pas que toute contre-lettre soit efficace. Elle l'est seulement lorsqu'elle aurait été efficace sous forme d'un acte apparent Si ostensiblement elle avait pu faire l'objet d'une nullité, elle est nulle aussi sous forme de contre-lettre. Il est logique qu'il soit impossible de faire en se cachant, ce qu'il aurait été impossible de faire ouvertement C'est la raison pour laquelle certains auteurs précisent qu'en elle-même, la simulation est neutre (Flour et Aubert, No 3 83).
 
b) Les exceptions
 
Exceptionnellement, la simulation est, en elle-même, une cause de nullité.
 
1.  Nullité de la seule contre-lettre
 
Afin de dissuader les particuliers de frauder le fisc, l'article 1840 du Code général des impôts prévoit que les contre-lettres majorant le prix officiellement déclaré dans certains contrats (cession d'office ministériel, vente d'immeuble, cession de fonds de commerce ou de clientèle), sont nulles La nullité ne vise que la contre-lettre, l'acte apparent reste valable. Cela signifie que le vendeur ne peut obtenir le paiement du supplément convenu et que si l'acheteur l'a versé, il pourra en obtenir la restitution Cette nullité a une double efficacité : elle vise à dissuader les particuliers de faire fraude au fisc ; si cette fraude a eu lieu, elle encouragera l'acheteur à invoquer la nullité pour récupérer le complément versé sans pour autant perdre le bénéfice de son acquisition
 
 
2. Nullité de la contre-lettre et de l'acte apparent
 
Ici la nullité frappe à la fois la contre-lettre et l'acte apparent, ce qui a pour effet de remettre les choses en l'état Ainsi, l'article 1099 al. 2 du Code civil annule les donations entre époux lorsqu'elles sont déguisées ou réalisées par interposition de personnes alors que si elles sont faites ostensiblement, elles sont valables.
 
c) La preuve de la simulation
 
Dans l'action en déclaration de simulation, l'acte secret doit comme tout acte juridique être prouvé par écrit L'écrit est nécessaire, même au-dessous de 5 000 francs, si l'acte apparent a luimême été passé par écrit Il y a là application pure et simple des règles sur la preuve.
 
B - Validité de l'acte apparent à l'égard des tiers
 
Le problème concerne soit les ayants cause à titre particulier, soit les créanciers chirographaires des parties à l'acte.
 
a) L'option ouverte aux tiers
 
Les tiers ont la faculté, selon leurs intérêts, de se prévaloir soit de l'acte apparent, soit de la contre-lettre (art 1321 du C. civil). S'agissant d'une vente fictive par exemple, les créanciers de l'acheteur ont intérêt à se prévaloir de l'acte ostensible alors que les créanciers du « vendeur » ont intérêt à invoquer l'acte secret pour prouver que celui-ci est bien resté propriétaire.
 
b) Le conflit entre les tiers
 
Dans cette hypothèse, le conflit est tranché en faveur de ceux qui invoquent l'acte apparent, ce qui est logique car la sécurité des transactions exige que l'on puisse se fier aux situations ostensibles, apparentes (Civ. 2 5 avril 193 9, D. 1940. 1, p. 12 , Soc. 14 décembre 1944, D. 1946. 1, p. 105, Plaisant).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

mardi 21 novembre 2006

jeudi 16 novembre 2006

SECTION Il : LES MECANISMES DE LA REPRESENTATION.

Cette institution est très importante et connaît un essor considérable dans les sociétés industrielles et post-industrielles.

La représentation est le mécanisme par lequel une personne - le représentant - accomplit un acte juridique au nom et pour le compte d'une autre personne - le représenté - de sorte que les droits et obligations nés de l'acte juridique se fixent sur la personne du représenté et engagent le patrimoine du représenté.

Ce mécanisme a un champ d'application illimité. On peut y recourir par voie contractuelle. La théorie du mandat (art. 1984 et s. C. civil) permet au mandant ou représenté de donner pouvoir au mandataire ou représentant de passer en son nom et pour son compte, un ou plusieurs actes juridiques. Il faut insister ici sur le fait que le mandataire se présente comme tel dans les contrats qu'il passe et fait connaître à son partenaire l'identité de la véritable partie au contrat (différence avec la simulation par interposition de personne).

Cette institution joue aussi en dehors de tout contrat. Le législateur ou le juge assurent parfois la gestion des intérêts d'autrui en ayant recours à la représentation (incapables ; gestion des personnes morales).


§ 1. L'EVOLUTION DE LA REPRESENTATION

L'institution de la représentation a connu un développement considérable. Elle s'est diversifiée, mais malgré cette diversification, on peut discerner trois axes d'évolution.


A - Le passage de situations subjectives à des situations objectives

À l’époque du Code civil, la représentation était avant tout illustrée par le mandat, situation subjective puisque contractuelle. Il fallait examiner la volonté du mandant pour déterminer l'étendue exacte des pouvoirs du mandataire. C'était la volonté des parties qui déterminait l'étendue et les modalités de la représentation. Dès cette époque pourtant on doit signaler l'existence de situations objectives où l'étendue et les modalités de la représentation n'étaient pas à rechercher dans la volonté des parties mais dans des normes générales et abstraites posées par le législateur (la représentation des incapables).

Il faut noter d'abord que les hypothèses de représentation légale se sont multipliées depuis le Code civil et que ces hypothèses de représentation légales fixent de façon objective, générale et abstraite les règles de la représentation (les pouvoirs du syndic de copropriété , les pouvoirs des organes des PM).

Au sein même des mécanismes de représentation conventionnelle, l'appréciation des règles du mandant se fait de plus en plus souvent par référence à des règles objectives (ce qu'il est normal que fasse un représentant) et non plus par référence à la volonté des parties. La volonté ne disparaît pas totalement mais, ici encore, elle se heurte à des règles objectives et impératives.

Les raisons de cette objectivisation de la représentation sont très bien exprimées par G. Farjat : « C'est une question de sécurité des relations juridiques. La représentation est d'une pratique trop fréquente pour abandonner au subjectivisme, voire à la volonté des mandants, les pouvoirs de ceux qui le représentent ». Les cocontractants pour contracter en toute sécurité, doivent connaître, par avance et avec certitude, l'étendue exacte des pouvoirs des représentants sans avoir à vérifier dans le mandat l'étendue exacte de ces pouvoirs. La rapidité et la sécurité des affaires exigent que l'on évite les vérifications longues et délicates. La loi fixe donc de plus en plus souvent et de façon autoritaire les pouvoirs du représentant.

B - Déclin du rôle des volontés individuelles

En passant du subjectif à l'objectif, on assiste nécessairement à un déclin du rôle des volontés individuelles puisque c'est le législateur lui-méme qui détermine les règles et le contenu de la représentation. Le phénomène est nettement observable dans les personnes morales. Autrefois, c'était les statuts (la volonté des membres de l'Assemblée générale du groupement) qui déterminaient les pouvoirs des différents organes de la personne morale. Celui qui entendrait contracter avec les dirigeants d'une personne morale devait donc examiner les statuts pour s'assurer que les dirigeants n'excédaient pas leurs pouvoirs. Les inconvénients de ce système étaient tels que c'est désormais la loi qui détermine impérativement les pouvoirs des organes sociaux. On est passé de l'idée de mandat à celle de pouvoirs légaux (c'est la loi qui détermine les pouvoirs et non les volontés individuelles).


C - La diversification de la représentation conventionnelle

Conséquence encore du passage du subjectivisme à l'objectivisme, la représentation conventionnelle s'est diversifiée pour s'adapter à chaque situation concrète.

À l’époque du Code civil, le mandat est normalement gratuit. On le considère comme un service d'ami (art. 1986 C. civil). Très rapidement, le mandat est devenu affaire de professionnel-. qui font rémunérer leurs services.

La division du travail, la complexité de la vie sociale ont conduit à multiplier les professionnels qui gèrent les affaires d'autrui. A côté des traditionnels mandataires de justice (huissiers et avocats), et des notaires, on a vu fleurir des professionnels de la représentation : agents d'affaires, conseils juridiques et fiscaux, agences de voyages, architectes, agents commerciaux dans la distribution et aujourd'hui agences matrimoniales. La représentation conventionnelle a conduit le législateur à multiplier les statuts impératifs en les adaptant à chaque profession.

Il faut enfin noter qu'en principe, la représentation implique un minimum de liberté chez le mandataire. Or, surtout dans le domaine des agents commerciaux, la marge de manœuvre du représentant est de plus en plus étroite et leur « subordination » aux ordres du représenté les met dans une situation proche de celle du salarié. C'est la raison pour laquelle, tenant compte de cette situation hybride, la jurisprudence et le législateur leur appliquent parfois un statut juridique hybride (ils sont commerçants mais salariés dans leurs relations avec l'employeur : 13 janv. 1972, D. 1972, 425).

La caractéristique de la représentation est que les effets juridiques de l'acte passé par le représentant se produisent immédiatement sur la personne du représenté. C'est le représenté qui est la véritable partie au contrat qu'il s'agisse de la réprésentation conventionnelle ou légale.


§ 2. LA REPRESENTATION CONVENTIONNELLE


A - Conditions d'existence de la représentation

Avant d'étudier les pouvoirs du représentant, condition essentielle à la vahdité du contrat de représentation, il convient de distinguer la représentation parfaite de situations voisines où l'on parle de représentation imparfaite.


a) Représentation parfaite et représentation imparfaite


La représentation est un procédé juridique par lequel le représentant agit au nom et pour le compte du représenté de sorte que l'acte accompli par le représentant produit directement ses effets sur la tête du représenté. Le rappel de cette définition permet de distinguer la représentation d'une situation juridique bien différente où l'on parle de représentation imparfaite, et qui résulte des pratiques commerciales de la commission et du prête-nom.

Le commissionnaire, le prête-nom en droit commercial, ne sont pas de véritables représentants, Ils agissent en fait pour le compte d'autrui, mais les personnes avec qui ils traitent et les tiers l'ignorent et juridiquement les contrats qu'ils passent n'ont d'effets juridiques qu'en la personne du commissionnaire ou du préte-nom. Juridiquement, ils sont les parties au contrat même si, en définitive, c'est celui pour lequel ils agissent qui retirera le bénéfice de l'opération. Les cocontractants auront une action directe contre celui pour lequel ils ont en fait agi.

Pour qu'il y ait représentation véritable, la qualité du représentant doit être connue de celui avec lequel il contracte. Cette condition étant remplie, il faut encore, pour qu'il y ait représentation, que le représenté ait reçu les pouvoirs d'agir au nom d~une autre.


b) Représentation parfaite et pouvoir de représentation


Il existe un contentieux abondant en la matière, car il faut vérifier l'existence de ce pouvoir et en fixer la limite pour savoir si le représentant n'a pas excédé les pouvoirs conférés.

1. La convention, source du pouvoir


Les pouvoirs du représentant naissent d'une convention entre celui-ci et le représenté, le plus souvent d'un contrat de mandat (art. 1984 C. civil), parfois d'une clause d'un contrat plus complexe (l'affacturage).

Sauf exception (mariage), une personne peut toujours se faire représenter par une autre et donc lui donner les pouvoirs de contracter en son nom.

Le mandat peut être général ou spécial (art 1987 C. civil). L'article 1988 Code civil précise que si le mandat est général (c'està-dire s'il concerne toutes les affaires du mandant), il n'embrasse que lés actes d'administration. Le plus souvent le mandat est spécial et exprès ce qui autorise les actes d'aliénation

Il convient de rechercher dans la convention les limites du pouvoir conféré, ce qui pose le problème des dépassements de pouvoir.


2. Dépassement des pouvoirs et protection des tiers


- Les données du problème

Classiquement, si l'on s'en tient à l'autonomie de la volonté, le représentant ne peut agir que dans la limite des pouvoirs dont il est investi S'il dépasse les limites de ces pouvoirs, le mandant n'est pas engagé. Cela signifie que le cocontractant ne saurait agir contre le représenté si le représentant a outrepassé ses pouvoirs et que les actes que ce dernier aurait accomplis, hors des limites fixées dans le contrat de mandat, n'engagent pas le représenté.

Il appartient donc, dans cette conception, au cocontractant de s'informer très exactement sur l'étendue des pouvoirs du représentant en consultant le contrat initial de mandat.

Face au respect de la volonté du mandant, on trouve un autre impératif qui tend aujourd'hui à l'emporter sur le premier: la sécurité des relations contractuelles, la sécurité du commerce. En effet, les vérifications que doit entreprendre le cocontractant

sur l'existence et l'étendue du mandat ne sont pas toujours aisées et constituent, de toute façon, une perte de temps. La rapidité des transactions exige qu'on lève ce handicap que constitue la vérification des pouvoirs.

Afin de concilier le respect de la volonté et la sécurité du commerce juridique, la jurisprudence a su développer des éléments de solutions dont on peut dire, qu'en dépit de certaines fluctuations, ils sont de plus en plus protecteurs des intérêts des tiers contractants.
a Les principes de solutions


Si l'on veut les évoquer, on doit montrer comment les diverses constructions visent à une protection accrue des cocontractants. Nous exposerons dans l'ordre croissant de protection de ces tiers les trois fondements qui ont pu être dégagés pour servir de base à la théorie du mandat apparent.


e Protection minimale des tiers : la faute du mandant

Dans un premier temps, et pour engager au-delà des termes du mandat la responsabilité du mandant envers le cocontractant, la jurisprudence a invoqué la faute commise par celui-ci. Le mandant qui, par négligence, par manque de précautions, a permis à son mandataire de dépasser les limites de la représentation convenue, commet une faute qui engage sa responsabilité envers les tiers de bonne foi. L'obligation qui pèse sur lui de réparer le dommage dont il est responsable, sera exécutée en nature : le contrat passé par son mandataire sera considéré comme valablement formé et engagera en conséquence le mandant Il faut noter ici que si la protection des cocontractants est assurée, elle n'est pas aisée : il appartient, en effet, au cocontractant qui s'estime lésé de démontrer la faute, le préjudice et le lien de causalité ce qui n'est pas aisé, notamment la démonstration de la faute du mandant (Com. 29 mars 1966, JCP 1966-11-15 3 10).


- Une protection moyenne des tiers la théorie de l'erreur commune

Ici on engage le mandant sur la base du mandat apparent parce que toute personne raisonnable aurait cru à l'existence d'un tel mandat. On fait application d'un vieil adage en vertu duquel l' « erreur commune fait le droit » (error communis facit jus). Cet adage signifie que l'on considérera comme juridiques, produisant des effets juridiques, des situations qui ne le sont pas ou sont irrégulières, à partir du moment où toute personne normalement douée de raison aurait considéré la situation comme juridique (tout le monde y aurait cru). L'avantage, par rapport au fondement précédent, c'est que le contractant n'a plus besoin de rapporter la preuve d'une faute du mandant L'accent n'est plus mis sur l'auteur du dommage mais sur la victime. Il suffit de prouver, indépendamment du comportement du mandant, que toute personne raisonnable et avisée aurait cru, comme le cocontractant, à l'existence et aux limites du mandat.

La jurisprudence se livre ici à une analyse objective de la situation du contractant Elle se demande si toute personne normalea Les principes de solutions


Si l'on veut les évoquer, on doit montrer comment les diverses constructions visent à une protection accrue des cocontractants. Nous exposerons dans l'ordre croissant de protection de ces tiers les trois fondements qui ont pu être dégagés pour servir de base à la théorie du mandat apparent.


e Protection minimale des tiers : la faute du mandant

Dans un premier temps, et pour engager au-delà des termes du mandat la responsabilité du mandant envers le cocontractant, la jurisprudence a invoqué la faute commise par celui-ci. Le mandant qui, par négligence, par manque de précautions, a permis à son mandataire de dépasser les limites de la représentation convenue, commet une faute qui engage sa responsabilité envers les tiers de bonne foi. L'obligation qui pèse sur lui de réparer le dommage dont il est responsable, sera exécutée en nature : le contrat passé par son mandataire sera considéré comme valablement formé et engagera en conséquence le mandant Il faut noter ici que si la protection des cocontractants est assurée, elle n'est pas aisée : il appartient, en effet, au cocontractant qui s'estime lésé de démontrer la faute, le préjudice et le lien de causalité ce qui n'est pas aisé, notamment la démonstration de la faute du mandant (Com. 29 mars 1966, JCP 1966-11-15 3 10).


Une protection moyenne des tiers la théorie de l'erreur commune

Ici on engage le mandant sur la base du mandat apparent parce que toute personne raisonnable aurait cru à l'existence d'un tel mandat. On fait application d'un vieil adage en vertu duquel l' « erreur commune fait le droit » (error communis facit jus). Cet adage signifie que l'on considérera comme juridiques, produisant des effets juridiques, des situations qui ne le sont pas ou sont irrégulières, à partir du moment où toute personne normalement douée de raison aurait considéré la situation comme juridique (tout le monde y aurait cru). L'avantage, par rapport au fondement précédent, c'est que le contractant n'a plus besoin de rapporter la preuve d'une faute du mandant L'accent n'est plus mis sur l'auteur du dommage mais sur la victime. Il suffit de prouver, indépendamment du comportement du mandant, que toute personne raisonnable et avisée aurait cru, comme le cocontractant, à l'existence et aux limites du mandat.

La jurisprudence se livre ici à une analyse objective de la situation du contractant Elle se demande si toute personne normalement diligente et avisée, se serait laissée abuser comme l'a été le cocontractant. Il y a un progrès par rapport à la théorie de la faute, mais l'appréciation de l'erreur commune fixe la barre de l'erreur admissible assez haut et ne permet pas une protection totale du cocontractant. Il faut, en effet, que tout le monde se soit trompé. Or, concrètement, telle personne a pu être abusée alors qu'une autre, plus informée, ne l'aurait pas été.


- La protection maximale des tiers, la croyance légitime

(J. P. Arrighi, « Apparence et réalité en droit privé ; contribution à l'étude de la protection des tiers contre les situations apparentes », thèse, Nice, 1974.)

La jurisprudence est ici beaucoup plus protectrice du tiers cocontractant puisqu'il suffit qu'il ait pu légitimement croire à l'existence et à l'étendue du mandat pour engager le mandant.

On passe donc d'une appréciation objective à une appréciation subjective du comportement du cocontractant (Ass. plén. 13 décembre 1962, JCP 62-11-13105, Esmein ; D. 1963.277, Calais-Auloy).

Cette jurisprudence est protectrice des tiers contractants puisqu'elle s'attache à rechercher si individuellement et concrètement telle personne a pu être trompée, alors même que le commun des mortels ne l'eût pas été. La légitimité de la croyance suppose une analyse subjective et concrète du cocontractant beaucoup plus protectrice de ce dernier que la théorie de l'erreur commune qui se réfère à l'individu normalement aisé et diligent. Signalons que la légitimité de la croyance aux pouvoirs du représentant résulte d'un ensemble de circonstances dont les juges déduisent que le tiers n'avait pas à vérifier l'existence ou l'étendue des pouvoirs du mandataire.

Les circonstances tiennent fréquemment à la personnalité même du cocontractant (civ. 4 mars 1971, JCP 71-IV-101, femme modeste qui croit que le notaire est le mandant d'un agent d'affaires).

Les circonstances tiennent parfois à la nature de l'opération.

Il n'est pas fréquent de vérifier les pouvoirs du mandataire pour des opérations courantes ou de peu d'importance.

Il convient de signaler que la jurisprudence n'est pas clairement établie et qu'elle se fonde tantôt sur l'erreur commune, tantôt sur la croyance légitime accordant une protection plus ou moins étendue au contractant du pseudo-mandataire. Au regard de la théorie classique, il faut cependant noter que, quel que soit l'un des deux fondements invoqués ci-dessus, on assiste à un changement fondamental par rapport au droit libéral. Le droit libéral, axé tout entier sur le respect de la volonté individuelle, imposait à ceux qui contractent avec un représentant de prendre toutes les précautions pour vérifier les pouvoirs de celui-ci et se souciait peu des possibilités réelles de cette vérification. Le droit contemporain se préoccupe avant tout de la sécurité des contractants et tient compte de la situation de force dans laquelle se trouve le mandant par rapport au contractant Il lui vient au secours chaque fois que, concrètement, le pseudo-mandataire pouvait apparaître comme un légitime représentant De nos jours, c'est à ceux qui ont recours aux services de mandataires qu'il appartient de prendre des précautions pour éviter les dépassements de pouvoirs.


B - Les effets de la représentation


Elle crée automatiquement un rapport de droit triangulaire, mais nous verrons que c'est essentiellement en ce qui concerne les relations représentant-représenté que sont soulevées les difficultés devant les tribunaux


a) Elle fait naître un rapport de droit triangulaire entre trois personnes

1) Le représenté est partie au contrat C'est lui qui acquiert immédiatement les droits nés du contrat (transfert de propriété, créance) et qui devient débiteur des obligations contractées en son nom par le représentant. Le représentant n'est donc pas partie au contrat et sa personnalité s'efface à l'égard du contractant dès que le contrat est conclu.


2) Il n'y a pas de rapport de droit entre le représentant et le contractant dès que le contrat est conclu Le représentant est effacé de la scène en ce qui concerne l'exécution du contrat.

Ce schéma peut être altéré lorsque le représentant s'engage personnellement envers le contractant en garantissant, par exemple, la bonne exécution de ses engagements par le représenté ou le tiers-contractant (on parle dans ces dernières hypothèses de la clause de ducroire).

3) Entre représentant et représenté, les relations sont en principe réglées sur la base du mandat initial L'importance du contentieux en la matière justifie qu'on développe ces relations.


b) Les problèmes soulevés par les relations représentant-représenté

1 ) Obligation pour le représentant de remplir son mandat de façon diligente. Le représentant, s'il est rémunéré, est généralement tenu de plusieurs obligations :
- Obligation de loyauté à l'égard du représenté. Il doit l'informer de tous les éléments dont il a personnellement connaissance et qui pourraient influencer la décision du mandat de contracter (VRP : Obligation de signaler l'état du marché et son évolution).

- Obligation de rendre compte de son mandat Le représentant doit, à la demande du représenté, justifier de son action. Il n'est certes pas tenu, le plus souvent, d'atteindre un résultat, mais d'œuvrer pour atteindre ce résultat

- Obligation de moyens. Sauf lorsque des quotas lui sont imposés, le représentant n'est tenu que d'une obligation de moyens : il doit tout mettre en œuvre pour parvenir au résultat promis sans pouvoir le garantir.


Contrairement à l'économie générale des contrats, les mandants cherchent parfois, contrairement aux critères définis plus haut sur l'obligation de moyens, à imposer des obligations de résultat à leurs mandataires (concession exclusive).

La jurisprudence devrait, dans ces hypothèses, requalifïer les obligations contractuelles, ce qu'elle ne fait pas souvent (le droit européen est généralement hostile aux quotas).


2) Obligation pour le représenté de rémunérer les services du représentant En principe, les juges n'ont pas le droit d'apprécier le montant des rémunérations. Sauf absence totale de prestation- défaut de cause - les prestations consenties sont censées équivalentes et le juge dénaturerait le contrat s'il modifiait les éléments convenus, notamment le montant des prestations réciproques.

Pourtant la jurisprudence exerce, en matière de mandant, un contrôle qualifié de hardi sur les rémunérations de certains mandataires.

S'appuyant sur l'article 1999 Code civil relatif au mandat qu'elle interprète très librement, la jurisprudence n'hésite pas à réduire le montant des honoraires des mandataires. L'idée selon laquelle la représentation ou l'assistance à autrt~ ne doivent pas donner lieu à des profits excessifs permet une interprétation très « souple » de la notion de profit excessif. Il faut vraiment des « notes » énormes pour que le juge intervienne et réduise les honoraires.


3) Le mandat est révocable unilatéralement du fait du mandant comme du fait du mandataire

Fondé sur la confiance réciproque des parties, le mandat est révocable unilatéralement. L'article 2004 Code civil vise l'hypothèse de la révocation du mandat par le représenté. Il peut « révoquer sa procuration quand bon lui semble ». On parle de révocation ad nutum. Si le principe demeure, il a été altéré par la jurisprudence dans l'hypothèse de révocation par le représenté (le concédant, par exemple).

On a plus à craindre des abus dans cette hypothèse que dans l'hypothèse d'une renonciation par le mandataire.

- La jurisprudence a d'abord fait une application de la théorie de l'abus de droit. Si la révocation par volonté unilatérale du mandat constitue l'exercice d'un droit légitime, cet exercice peut devenir abusif et donner lieu à des dommages et intérêts, soit lorsque la rupture constitue une brusque rupture qui ne respecte pas le préavis normal, soit lorsque les circonstances qui entourent la rupture la rendent abusive (rupture vexatoire).

- La jurisprudence analyse certains mandats comme des mandats d'intérêt commun. Dans cette hypothèse la rupture ne peut intervenir que pour « juste motif ». Nous verrons que, selon la conception que l'on se fait du juste motif, la protection du mandataire est plus ou moins étendue.

La protection est souvent réduite car on considère comme un motif légitime de résiliation la faute légère du mandataire du fait d'un rendement insuffisant (Paris, oct 1955, GP 1955.11, p. 341; Toulouse, 19 déc. 1956, D. 1956, p. 188 Com. 30 nov. 1982, Cahier droit entreprise, 83, No 2, p. 25).

Nous verrons que, compte tenu de la sévérité avec laquelle son souvent définies les obligations des mandataires, cette jurisprudence n'a que peu d'utilité pratique. On attend avec impatience la jurisprudence qui se dégagera de l'application de l'article 8 de l'ordonnance du ler décembre 1988 pour voir si celle-ci accordera une protection efficace à de nombreux « mandataires professionnels ».

La sévérité actuelle tranche avec le régime auquel sont soumis les organes des personnes morales. En principe, révocables ad nutum, ils sont en fait relativement inamovibles, ce qui nous conduit à l'étude des mécanismes de la représentation légale (sauf prise de contrôle de la part d'un concurrent).


§ 3. REPRESENTATION LEGALE ET TREORIE DES POUVOIR: LEGAUX


Remarque préliminaire : les mécanismes de représentation légale sont nombreux : représentation des incapables ou des époux Vous les étudierez dans le détail à propos de chaque institution concernée.

Nous nous contenterons d'attirer l'attention sur un phénomène d'une importance considérable de nos jours : les pouvoirs des organes des groupements notamment des sociétés commerciales qui
assurent l'essentiel de la vie économique. Les mécanismes de représentation en la matière ont évolué selon deux des axes que nous avons mentionnés : du subjectif à l'objectif et en laissant de moins en moins de place aux libertés individuelles. La sécurité des tiers se combine avec des mécanismes visant à protéger aussi les membres du groupement.


A - Du mandat à la théorie des pouvoirs légaux


Au départ, les pouvoirs des organes sociaux, des organes des groupements étaient déterminés par les statuts. Les associés pouvaient ainsi délimiter de façon très précise les pouvoirs des dirigeants sociaux. Ceux qui entendaient contracter avec une société avaient donc l'obligation de vérifier l'étendue des pouvoirs des dirigeants sociaux

On doit signaler que depuis la loi du 4 janvier 1978 (intégrée aux art. 183'-' et s. du C. civil) l'essentiel des renseignements concernant les sociétés civiles et commerciales est publié au registre du commerce et des sociétés (idem pour les GIE) et que les statuts des associations ou syndicats peuvent être connus par une consultation auprès de la préfecture ou de la mairie

Il reste que l'idée du mandat à l'origine des pouvoirs des dirigeants des groupements se révèle très dangereuse pour les tiers, notamment les éventuels contractants du groupement. Ils doivent, à l'occasion de chaque opération, se renseigner sur l'étendue exacte des pouvoirs des dirigeants. La rapidité de la vie des affaires et la sécurité des relations juridiques postulaient l'abandon de la théorie du mandat.

Toute l'évolution de la vie des groupements va dans le sens d'une sécurité accrue des tiers contractants. Cette évolution est inégale car elle tient compte de l'intérêt des associés qu'on ne peut négliger.


a) Du mandat à la spécialité des personnes morales

Dans une première série d'hypothèses (sociétés civiles et sociétés commerciales dans lesquelles Ies associés sont indéfiniment et solidairement responsables), la loi définit les limites en deçà desquelles les statuts ne peuvent pas restreindre les pouvoirs des organes dirigeants. Cette limite, c'est ce que l'on appelle l'objet social ou la règle de la spécialité. Un groupement se constitue pour réaliser un certain objet social. Le groupement voit son action limitée par cet objet : c'est la spécialité du groupement.

Les textes considèrent que les dirigeants des sociétés civiles ou des sociétés commerciales doivent pouvoir agir, malgré les dispositions statutaires que l'on considère alors comme nulles, dans la limite de l'objet social (art 1849 C. civil). Aucune disposition statutaire limitant au-dessous de cet objet social n'est opposable au tiers. Cela signifie que le gérant, même s'il a excédé les statuts, dès lors qu'il est resté dans le cadre de l'objet social, engage la société. On veut ainsi favoriser l'action des groupements. Il suffît au tiers de consulter les statuts dans lesquels doit figurer, impérativement, l'objet social, pour savoir si le représentant engage bien la société.

Reste que le dirigeant qui, tout en respectant les limites de l'objet social, a outrepassé ses pouvoirs au regard des statuts du groupement, engagera sa responsabilité envers les membres du groupement.

Dans la mesure où pour limiter à nouveau les pouvoirs des dirigeants il suffisait aux statuts de définir très étroitement l'objet social, le législateur est allé encore plus loin dans la protection des tiers lorsque l'on a affaire à des sociétés de capitaux.


b) De l'objet social à la théorie des pouvoirs légaux

Depuis la loi du 24 juillet 1966, la société commerciale de capitaux (SA et SARL) est engagée envers les tiers par les actes de ses organes même si les actes excèdent l'objet social tel que les statuts le définissent La loi donne un schéma légal d'organisation pour les personnes morales qui repose généralement sur une spécialisation des fonction& Seule cette spécialisation légale des fonctions permet de faire jouer la théorie des pouvoirs légaux.

En principe, dans la SA par exemple, le président dirige la société, le Conseil d'administration surveille le PDG et, en cas de conflit, l'Assemblée générale des actionnaires arbitre ce conflit. Désormais, en vertu d'une analyse objective de la situation, le PDG engage la société pour tous les actes qui entrent dans le cadre de ses pouvoirs même si ces actes excèdent les limites de l'objet social statutairement défini.

La solution est assez logique. Le but d'une société commerciale est, en principe, de réaliser des profits. Ces profits peuvent résulter d'opérations nombreuses et variée& Il est donc pratiquement impossible à l'éventuel cocontractant de savoir, même en ayant consulté les statuts, si l'opération envisagée entre dans le cadre de l'objet social (Thaller, note sous req. 5 nov. 1900, D. 1902, p. 6: « En vérité, s'il fallait qu'avant de négocier un marché le contractant exaniinât la légitimité du but ou du motif auquel cède sa contrepartie, il n'y aurait plus d'affaires possibles »).

La logique des groupements les plus dynamiques du point de vue de l'économie libérale, commande que les dirigeants concentrant le pouvoir puissent agir vite et en donnant toute sécurité aux tiers.
Ainsi, le cocontractant, une fois informé du fait que x est bien PDG de la SA y, pourra traiter avec lui telle ou telle vente sans avoir à s'interroger si elle contribue ou non à l'objet social (il n'aura pas à se demander si entre dans l'objet social d'une compagnie pétrolière la torréfaction de x tonnes de café).

On doit noter une limite logique à la théorie des pouvoirs légaux. La protection des tiers ne va qu'à ceux qui méritent effectivement protection, non à ceux qui, en l'espèce considérée,,savent pertinemment que le dirigeant excède les limites de l'objet social.

La loi française, suivant en cela une directive européenne, indique que la société n'est pas engagée au-delà des limites de l'objet social, si la société prouve que le tiers savait que l'acte excédait cet objet ou ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances. Attention, il est précisé que la seule publication des statuts est insuffisante pour constituer la mauvaise foi du contractant. Il faut donc des circonstances particulières pour que la société refuse l'engagement souscrit par son dirigeant et, de plus, c'est à elle qu'il appartient de rapporter cette preuve. On est donc ici à l'opposé du droit classique du mandat où c'est au cocontractant qu'il appartient de se renseigner sur les pouvoirs du mandataire.


B - Rapports internes à la personne morale


Cette règle protectrice des droits des tiers doit être combinée avec la protection nécessaire des associés.

A cette fin, la loi du 24 juillet 1966 précise que, au sein de la personne morale, l'objet social constitue la limite des pouvoirs du dirigeant. Si donc, ayant excédé les limites de l'objet social, le dirigeant engage la société (partie au contrat) envers le tiers cocontractant, il engage sa responsabilité envers les associés qu'il devra éventuellement indemniser du fait du contrat souscrit et considéré comme valable à l'égard du tiers. On voit poindre ici une distinction qu'il faudra souvent faire : quelles sont les relations entre les parties ? Quelles sont les relations envers les tiers ? La sécurité des relations juridiques, la sécurité des affaires exige souvent qu'un traitement différencié soit appliqué selon les personnes en présence.

La représentation altère sensiblement la notion de partie à un acte juridique. Voyons, à présent, les difficultés que soulèvent les actes collectifs quant à la notion de partie.

SECTION III: LA DIFFICULTE DE DETERMINER LES PARTIES A L'ACTE COLLECTIF


Lorsque l'on examine les actes collectifs, le phénomène le plus remarquable réside dans la dissociation qui s'opère entre partie à la formation du contrat et partie soumise aux effets du contrat collectif. L'étude de cette dissociation nous permettra de cerner un peu mieux la notion de parties dans les actes collectifs.


§ 1. LA DISSOCIATION ENTRE PARTIES A LA FORMATION DU CONTRAT ET PARTIES SOUMISES AUX EFFETS DU CONTRAT

Cette dissociation est distincte des mécanismes de représentation ; elle repose sur l'effet réglementaire du contrat collectif.

A - Un mécanisme distinct de la représentation


Le contrat individuel engage les personnes physiques ou morales qui y ont personnellement souscrit ou par un représentant. Même lorsque le contrat est passé par un représentant, le mécanisme repose toujours sur la volonté de la partie au contrat : volonté du mandant ou volonté des associés tant qu'ils ne quittent pas le groupement.

L'originalité des conventions collectives est qu'elles sont passées par d'autres personnes que celles auxquelles elles s'appliquent. Ainsi assiste-t-on à une dissociation entre parties aux contrats et parties soumises aux effets du contrat (convention collective signée entre une organisation patronale et une organisation de travailleurs).

Il arrive qu'une convention soit passée d'un côté par une personne qui est aussi partie aux contrats individuels lorsque l'employeur signe directement avec un syndicat de salariés. Du côté des salariés cependant, la convention régira tous les contrats individuels même des salariés non syndiqués, même des salariés non membres du ou des syndicats signataires.

La doctrine a cherché à expliquer cet effet des conventions collectives par l'idée de mandat Le syndicat serait le mandataire de ses membres. Il est impossible de retenir cette explication. D'abord parce que la convention régit tous les salariés de l'entreprise, ensuite parce que dans le mandat, la personnalité du mandataire s'efface dès la conclusion du contrat, ce qui n'est pas le cas ici où le syndicat peut toujours agir pour faire assurer le respect de la convention.


B - L'effet réglementaire ou normatif des conventions collectives


Le fonctionnement de la convention est comparable à celui de la loi : la convention crée des normes générales et impersonnelles.

Lorsqu'un syndicat d'employeurs et de salariés passent une convention, les dispositions de cette -dernière vont régir tous les contrats individuels que passeront employeurs et salariés. La loi du 13 novembre 1982 (une des lois Auroux) pose comme un droit des salariés la négociation collective dans la branche professionnelle mais aussi dans l'entreprise. Une des nouveautés de la loi est de permettre aux syndicats non signataires de s'opposer à l'entrée en vigueur de la convention Ils doivent représenter au moins la moitié des voix des électeurs inscrits et l'opposition doit intervenir dans les huit jours qui suivent la signature de l'accord. L'opposition qui doit être motivée aboutit à ce que les dispositions litigieuses soient réputées non écrites (le législateur a voulu éviter la signature de conventions avec des « syndicats maisons »).

Si les conventions collectives de travail sont reconnues comme telles par le droit, il n'en va pas de même pour d'autres actes que jurisprudence et doctrine dominante refusent d'analyser en termes collectifs


§ 2. PARTIES ET ACTES COLLECTIFS


Alors que l'essentiel de la vie économique est réalisé aujourd'hui par des actes juridiques collectifs, la doctrine et la jurisprudence continuent d'analyser la plupart des actes collectifs comme des contrats individuels. Cette attitude n'est pas neutre ; elle permet de consolider le pouvoir des économiquement forts.

Il est banal de constater que les contrats collectifs sont hérétiques au regard du droit classique des contrats, notamment du principe individualiste de l'autonomie de la volonté. La doctrine a le plus souvent une attitude de rejet face à la notion de collectivité et, hormis les conventions collectives du droit du travail, refuse de voir dans des contrats à effet normatif, des contrats collectifs. Il nous semble, au contraire, que si l'on accepte de faire prévaloir l'analyse substantielle sur l'analyse formelle, on pourrait sensiblement élargir le domaine des conventions collectives, ce qui permettrait de redonner un sens à l'autonomie de la volonté non au niveau de l'individu mais à celui de la collectivité concernée.

A - La collectivité, partie à la convention collective reconnue comme entité


a) La collectivité en droit du travail


La concentration du capital a provoqué le regroupement des salariés sur un même lieu et la prise de conscience de l'identité de leur situation Assez vite les salariés ont su s'organiser et, finalement, la loi du 19 mars 1919 a donné compétence aux syndicats pour organiser les rapports professionnels. Cette notion de compétence conférée aux syndicats représentatifs dépasse la notion de mandat et explique l'effet normatif de la convention. Depuis cette époque, les lois successives ont renforcé le statut des conventions collectives et ont toujours confirmé l'idée selon laquelle la convention régit l'ensemble de la collectivité de travail concernée (branche, profession ou entreprise).


b) La collectivité dans les rapports locatifs


Le droit civil, pourtant assez réfractaire à la collectivisation du droit, a été profondément bouleversé par la loi du 22 juin 1982 (loi Quilliot).

Dans son titre III, cette loi organise les rapports collectifs de location et reconnaît la collectivité des locataires, Il est remarquable de noter que l'accord conclu entre bailleur et association de locataires a lui aussi un effet normatif, un effet réglementaire puisqu'il s'applique à tous les locataires, y compris à ceux qui ne sont pas membres de l'association, y compris aux nouveaux locataires (art 28 et s. de la loi).

L'avantage qu'il y a à reconnaître la collectivité comme partie à l'accord, c'est de redonner un sens à l'autonomie de la volonté en assurant une réelle négociation collective, alors qu'individuellement le locataire était soumis à la toute puissance du propriétaire qui est souvent une personne morale.

C'est pour cette raison que les associations de consommateurs souhaitent que le législateur leur reconnaisse le droit de conclure des conventions collectives qui régiraient la collectivité des consommateurs. Pour l'heure, ce droit ne leur est toujours pas reconnu.


B - Le refus de reconnaître la collectivité comme partie au contrat et le contrat d'adhésion


Les contrats d'adhésion, le plus souvent matérialisés par un contrat-type dont il ne reste plus qu'à remplir quelques blancs, sont des actes à effet collectif Saleilles, en se fondant sur une analyse substantielle et réaliste de la situation, avait dégagé le caractère réglementaire des contrats d'adhésion. On sait que l'immense majorité de la doctrine et des tribunaux s'en tient à une analyse formelle de ces contrats et continue de les considérer comme des contrats individuels, ce qui permet de justifier des clauses abusives dans les relations « contractuelles ».

Les contrats d'adhésion empruntent à la norme sa généralité et devraient être reconnus comme tels afin de restaurer la libre discussion du niveau individuel au niveau collectif, que ce soit dans le droit de la production et de la distribution ou dans le droit de la consommation.


a) Contrats d'adhésion et production et distribution


Si à l'époque du capitalisme concurrentiel, sujet juridique et partie à un acte, sont deux notions qui se recouvrent, le développement des pratiques bées au capitalisme monopoliste fait apparaître des distorsions entre ces deux notion,,

On peut dégager l'existence d'un intérêt collectif spécifique à une collectivité sans que celle-ci ait emprunté le moule du sujet juridique - personne morale. Lorsque la firme traite selon un contrat-type avec une multitude de sous-traitants, d'agriculteurs intégrés ou de concessionnaires, on devrait admettre que l'on a affaire à un contrat collectif passé entre la firme généralement en position de quasi monopole et la collectivité qui représente bien un intérêt collectif, même si les sujets formels sont indéterminés en nombre lors de la conclusion de chacune des relations interindividuelles, même si les individus n'ont pas su ou pas pu d'organiser pour la défense de cet intérêt.

La reconnaissance de la collectivité comme partie au contrat aurait le mérite de permettre une négociation collective des clauses des contrats et de rétablir l'équilibre entre les contractants. Il existe, en ce sens, une proposition de loi (Glon et Cousté) qui organise les concessionnaires en GIE afin de permettre la négociation collective des contrats de distribution exclusive. Elle n'est jamais venue en discussion au Parlement.


b) Contrat d'adhésion et consommation


On peut faire ici la même analyse. Et c'est celle que font les associations de consommateurs qui demandent une négociation collective des contrats et la signature d'accords collectifs (assurance, services bancaires, ...). Le premier gouvernement socialiste semblait s'orienter en ce sens et avait confié à une commission le soin d'étudier cette question. Depuis, il semble que le dossier ait été oublié. De ce fait, le consentement des parties n’a plus grand sens aujourd’hui dans certains contrats.